Pré-Print de Boris Beaude. 2021. « Voir et prévoir le social au XXIe siècle », in Études digitales, n°10.

Voir et prévoir le social au XXIe siècle

Il pourra venir un moment où, de chaque fait social en train de s’accomplir, il s’échappera pour ainsi dire automatiquement un chiffre, lequel ira immédiatement prendre son rang sur les registres de la statistique, continuellement communiquée au public et répandue en dessins par la presse quotidienne1.

Les enjeux relatifs à la profusion des traces numériques réactivent des débats que l’on croyait épuisés, opposant en des termes à peine renouvelés les vertus respectives des approches qualitatives et quantitatives. Il ne faudrait pourtant pas sous-estimer la difficulté de cette épreuve. La défiance des sciences humaines et sociales à l’égard de la visualisation de données se situe précisément à l’intersection de l’attention qui fut portée pendant plus d’un siècle à la lecture critique des représentations du monde et à la réduction de ce dernier en chiffres (Desrosières, 2010 ; Supiot, 2015). Aussi, pour mieux saisir ce moment de perturbation paradigmatique, émettons l’hypothèse que l’investissement de plus en plus perceptible de la physique, de l’informatique et de la biologie dans le domaine des sciences humaines et sociales repose sur un malentendu fondateur : ce serait l’absence de données sur le monde social qui expliquerait la difficulté à rendre ce dernier plus intelligible2. Plus précisément, une fois ces données disponibles - ce que les données nativement numériques et la numérisation des archives réaliseraient actuellement -, ce seraient les disciplines qui ont le plus investi la recherche de lois, la modélisation et le traitement de données qui seraient les mieux disposées à en exploiter le potentiel, reléguant les sciences humaines et sociales au rang de simples postures critiques produisant du sens commun aux frais du contribuable3.

Afin de mieux caractériser ce moment particulier, il est éclairant de reconsidérer un certain nombre de tensions problématiques qui opposent fondamentalement les sciences des objets, c’est-à-dire celles qui ont pour étude des objets, en tant qu’entités dont le comportement ne dépend pas du discours que l’on émet à leur égard (dont la physique est emblématique) et les sciences des sujets, c’est-à-dire celles qui ont pour étude des sujets, en tant qu’entités dont le comportement dépend en partie du discours que l’on émet à leur égard (dont la sociologie est particulièrement représentative)4. Nous pourrions rentrer plus en détail sur ce qui a conduit à des fragmentations plus subtiles et aux innombrables disciplines, sous-disciplines et qualificatifs plus improbables les uns que les autres. Surtout, il importe de se défaire de ce qui serait mou, dur ou plus encore exact, tant il est difficile d’y opposer d’autres sciences, inexactes par définition. Nous pourrions aussi insister sur la subjectivité de ceux qui pratiquent la science, étant eux-mêmes des sujets. Nous préférons néanmoins considérer que cette subjectivité étant le propre de l’humain, elle est également partagée et ne distingue pas particulièrement les pratiques scientifiques.

C’est bien la qualité de ce qui est étudié qui oppose essentiellement les sciences. Or, nous assistons précisément à un intérêt convergent pour les pratiques sociales5. C’est pourquoi nous assistons à la résurgence de la physique sociale du XIXe siècle, qui inscrivait l’étude du monde social dans le prolongement de celui des phénomènes qui relèvent de l’environnement biophysique, avant que la sociologie ne s’éloigne de ce projet, lui préférant les enjeux de la subjectivité, de l’interprétation et de l’importance des environnements singuliers contre les perspectives universelles (Adorno et al., 1976). C’est pourquoi il n’est pas surprenant que la réactivation de l’intention de la physique sociale réactive aussi les tensions problématiques, nombreuses, qui engagèrent à y renoncer.

Aussi, il est éclairant de s’attarder sur quelques-unes de ces tensions, tant elles redeviennent actuelles. Les tenants de la social physics et de la computational social science6 émettent implicitement l’idée selon laquelle les conditions seraient réunies, enfin, pour faire des sciences sociales selon un paradigme unifié qui reposerait sur les avancées de la physique et de l’informatique au cours du XXe siècle et la disponibilité inédite de données massives sur les pratiques sociales. Plus d’un siècle après la physique sociale d’Auguste Comte, quelques décennies après sa réactivation modérée dans les années quatre-vingt avec le développement du Personal Computer, nous voilà à nouveau exposés à des divergences de plus en plus problématiques quant au réel, à la quantification, à l’expérimentation, à la prédiction, et in fine, à la confusion entre les lois qui régissent la physique et celle que les sociétés s’imposent à elles-mêmes.

Pour mieux comprendre ce qui oppose actuellement des épistémologies qui se sont considérablement distanciées sur plus d’un siècle, commençons par la considération différentielle du réel. Si l’ensemble des sciences a pris du recul à l’égard du réel et plus encore de la vérité, les sciences sociales se sont particulièrement distinguées de ce point de vue, insistant non seulement sur les conditions d’accès au réel, mais plus encore sur les modalités de sa construction (Foucault, 1966 ; Hacking, 1999 ; Bruno Latour, 2006a). Aussi, le réel étant inaccessible, la vérité supposée des énoncés à son égard ne serait toujours qu’un accord provisoire et partagé sur ce qui est le plus tenable au regard des moyens mis en œuvre pour l’observer. Après Karl Popper, Thomas Kuhn et plus encore Bruno Latour (Popper, 1977 ; Kuhn, 1972 ; Bruno Latour, 2006b), il est convenu que ce n’est plus le réel qui oppose fondamentalement les sciences, mais les aspirations différentes à en rendre compte de manière consensuelle et universelle. Les principes mêmes de réfutation constitutive de la démarche scientifique, de paradigme organisant les manières de poser des problèmes et d’y répondre, ou de cartographie des controverses susceptible d’expliciter la construction des objectivités partagées et légitimes, soulignent à quel point la démarche scientifique a été repensée comme une intention organisée et située plutôt que comme la production de faits incontestables.

Aussi, après plus d’un siècle de divisions relatives à la conception du réel et plus encore de la vérité, les attentes à l’égard de données plus massives ne suscitent pas les mêmes expectatives selon l’épistémologie des uns et des autres, certains y voyant l’occasion de tendre plus encore vers le réel, aussi inaccessible soit-il, alors que d’autres y voient la constitution d’une réalité spécifique, qui ne saurait être autre chose qu’un point de vue supplémentaire sur le monde social. Alors que le calcul et la production d’images sont précisément ce qui fait sciences et donne à voir une réalité plus intelligible pour les uns, les autres y voient des artefacts dont il est essentiel de reconnaître le caractère essentiellement construit. La carte illustre probablement le mieux cette distinction, opposant ceux qui œuvrent à produire la représentation la plus précise possible, pendant que les autres s’attardent sur les effets de sa production, du choix de la projection à la sémiologie graphique, en passant par la collecte, la sélection et le traitement des informations qui y sont représentées.

Ces attentes divergentes à l’égard de la production scientifique se retrouvent dans une autre tension, non moins fondamentale, qui oppose la considération de l’expérimentation et plus encore de la prédiction, comme fondement de la démarche scientifique et plus précisément de la validation des énoncés. Alors que la physique accorde à la prédiction la qualité la plus essentielle d’une loi, les sciences humaines et sociales sont très divisées sur ce point, insistant non seulement sur la complexité du monde social et la faiblesse de prétendues lois universelles qui l’organiseraient, mais aussi sur le sens que nous pouvons accorder à une prédiction, dès lors que sa seule énonciation est susceptible de la remettre en cause. La réflexivité disqualifierait fondamentalement le principe même de la prédiction des faits sociaux7, à l’exception paradoxale des plus structurés par le monde social lui-même, telle que les commémorations, les heures de pointe ou même les discriminations qui, malgré les puissants dispositifs de reproduction sociale qui les animent, ne sont néanmoins pas nécessairement amenées à se perpétuer.

La relation différentielle à la prédiction constitue une rupture épistémologique fondamentale, et il n’est pas surprenant que Ducan Watts, physicien devenu sociologue, s’étonne que les sciences sociales n’accordent pas plus d’importance à l’expérimentation et à la prédiction, seules garantes de la scientificité d’une démarche qui viserait à rendre le Monde intelligible, réduisant toute autre démarche au sens commun (Watts, 2014). Sans prédiction, les énoncés n’auraient jamais l’assurance de résister à l’épreuve des faits et ne seraient que de simples points de vue sur le Monde.

Néanmoins, comment ne pas considérer cette assertion comme un point de vue parmi d’autres, puisque l’expérimentation elle-même divise profondément les sciences selon qu’elles s’inscrivent dans des perspectives objectivantes et par continuité universalisantes, ou au contraire subjectivantes et plus volontiers portées sur les singularités. Alors que les premières ont une inclination pour les atomes sociaux, les secondes, œuvrent au contraire à souligner que les individus ne sont pas réductibles à des atomes (Jensen, 2018 ; Beaude, 2017), à moins qu’ils ne soient singulièrement si nombreux qu’il faudrait renoncer à toute aspiration à en établir la liste ordonnée qui a pourtant si bien réussi à Mendeleïev.

Cette aspiration à l’objectivation des sujets est plus établie en économie et en psychologie, disciplines qui procèdent volontiers par études sur quelques étudiants pour en tirer des enseignements sur les dispositions structurelles de la nature humaine. Elle a le mérite de s’inscrire dans une épistémologie partagée avec les sciences de la nature, qui œuvrent précisément à produire des connaissances dont la portée serait universelle. En revanche, cette démarche exclut volontairement la pluralité des individus et des situations auxquels ils sont exposés, ainsi que leur capacité d’incorporation et de réflexivité (Piette, 2014), qui engagent à discuter la notion même d’expérience reproductible, dès lors que les individus ne peuvent pas être les mêmes, pas plus que les situations auxquels ils sont confrontés.

C’est en cela un siècle de sciences sociales qui sont parfois négligées lorsque l’on imagine pouvoir prévoir un comportement, alors même que la météorologie, qui mobilise les infrastructures de calcul parmi les plus exigeantes, reste relativement inaccessible à plus d’une semaine, bien qu’elles ne s’imposent que l’étude de la relation entre des entités relativement simples, aussi nombreuses soient-elles. Le chaos déterministe nous apprend que la simple trajectoire d’une boule de billard ou d’une feuille reste imprévisible, bien que l’on en connaisse précisément les lois physiques sous-jacentes (Jensen, 2018 ; Krivine, 2018).

Le principe d’efficience peut en cela suffire lorsque la prédiction est jugée suffisante, il est en revanche très difficile à apprécier lorsque l’on est confronté à des entités trop complexes pour s’y conformer. C’est probablement la raison pour laquelle le deep learning est amené à être de plus en plus clivant, lorsqu’il résume parfaitement l’opposition entre l’efficience et la transparence, et entre la prédiction et la compréhension, qui peut tout à fait convenir lors de la reconnaissance d’une fleur ou de caractères manuscrits, tout en étant beaucoup plus problématique dans le domaine de la justice ou de la santé, posant toujours la question centrale de l’objectivité de ce qui est étudié.

Aussi, alors que la physique ou l’informatique, lorsqu’elles investissent leurs problématiques fondatrices, peuvent tout à fait se fonder sur l’expérience et la prédiction pour apprécier la cumulativité de leur maîtrise du Monde, la transposition de cette épistémologie aux individus se fait trop souvent sans précautions, au risque de ne prédire que ce qui est structuré par le social lui-même ou au contraire de devenir performatif et illisible, lorsque les prédictions sont mises en œuvre dans le cas de la récidive ou de l’octroi de prêts, perpétuant ainsi des inégalités qui, autrement, auraient pu être amenées à évoluer (O’Neil, 2016). L’expérience de l’humanité sur près d’un siècle suffit à se convaincre que de telles approches sont conservatrices, tant elles seraient incapables de se saisir de profonds changements sociétaux tels que ceux qui ont profondément marqué l’évolution de la condition et de la reconnaissance des enfants, des femmes et de nombreux individus. Toujours, les droits peuvent être limités selon l’apparence ou l’appartenance supposée à une catégorie, au point de ne pas être autorisé à exprimer son potentiel, au risque d’être ainsi réduit à une condition artificiellement entretenue, mais que certains, encore aujourd’hui, sont tentés de faire passer pour des dispositions naturelles8.

Enfin, il convient de pas négliger une dernière opposition, tout aussi fondamentale, qui ne relève pas tant des conditions de production d’un énoncé scientifique ou des moyens techniques que cela engage, mais plutôt de l’appréhension de la science elle-même, comme puissance transformatrice qui doit être discutée et critiquée en tant que telle. Si l’on considère le geste même de la pratique scientifique qui oppose les sciences des objets et les sciences des sujets, selon qu’elles œuvrent à maîtriser les objets ou à émanciper les sujets, cette distinction mérite effectivement plus de considération. Car la crise de la modernité qui caractérise la fin du XXe siècle et plus encore le début du XXIe siècle n’affecte pas équitablement ces épistémologies. La modernité est-elle orientée vers la maîtrise de notre environnement, qui s’est traduite par des conflits militaires d’une rare violence et la destruction de la biosphère, ou est-elle principalement attachée à l’émancipation des individus ? Cette tension problématique, finalement, a pour conséquence de différencier le rapport à l’ordre et plus précisément au pouvoir, les sciences des sujets ayant une sensibilité particulière pour tout ce qui propose d’ordonner le Monde a priori.

Les chercheurs étant aussi des citoyens, la défiance à l’égard du pouvoir peut être bien répartie, mais l’acte plus spécifique de la pratique scientifique n’est pas affecté aussi clairement. Pour le dire plus grossièrement, les computational social sciences n’ont pas le monopole de l’objectivation du Monde, dès lors que l’essentiel de l’économie et une part de la psychologie, en particulier cognitive, sont aussi celles qui entretiennent le plus de relations avec le pouvoir et avec l’économie marchande, la neuroéconomie étant emblématique de cette inclinaison pour l’objectivation du sujet. Antoinette Rouvroy et Thomas Berns, dans leur réflexion sur la gouvernementalité algorithmique, questionnent précisément les perspectives d’émancipation dans le contexte de la prédiction algorithmique (Rouvroy, 2 013). L’idée selon laquelle les données parleraient d’elles-mêmes suggère que les sujets n’auraient plus rien à dire, car tout serait déjà pré-dit (Rouvroy, 2016) ! C’est en effet la puissance du sujet qui est remise en cause en contestant précisément la capacité́ des individus à choisir les actualités de leurs virtualités (Deleuze, 1968).

La discipline des disciplines

La circulation des données, des méthodes, mais aussi de l’exposition de la recherche en train de se faire pose, finalement, l’un des enjeux majeurs de cette épreuve pour les sciences humaines et sociales : comment pratiquer une telle recherche dans un environnement disciplinaire, dont la spécialisation n’a fait que s’accroître, alors même que l’internationalisation et la concurrence ont considérablement augmenté la pression sur les jeunes chercheurs ? Comment se situer et prendre des risques dans un environnement structuré par des épistémologies, des enjeux, des pratiques et des références inscrites dans des champs, sans être sanctionné pour son indiscipline, où n’être que le spectateur de décloisonnements relativement violents de par leur intensité ?

Ce décloisonnement, encore marginalement perceptible au sein des sciences humaines et sociales, crée pourtant de nombreuses turbulences, à la rencontre de deux mouvements opposés, selon qu’il est animé depuis les sciences des objets ou depuis les sciences des sujets9. Plus précisément, l’émergence d’appellations telles que les digital humanities ou la computational social science souligne non seulement la différence entre le numérique (qui insiste sur la mise en nombre) et la computation (qui insiste sur la mise en calcul), mais aussi entre les humanités et les sciences sociales. De telles expressions, comme l’opposition plus spécialisée entre numérique et digital dans l’environnement francophone, révèlent plus spécifiquement les hésitations qui traversent notre langage, nos héritages, notre relation au corps et les moyens à notre disposition pour nommer ce que nous expérimentons.

Aussi, nous assistons à quelques regroupements paradigmatiques malgré leurs inévitables divisions internes. Du côté de l’informatique, de la physique et de la biologie, on parlera volontiers de sciences sociales computationnelles, alors que du côté de l’histoire ou de la littérature il sera plutôt question des humanités numériques. Dans une perspective plus englobante, les études numériques ou digitales, selon l’importance que l’on accorde aux racines, au toucher et à la matérialité, aspirent à accueillir plus ouvertement l’ensemble des sciences humaines et sociales et plus précisément l’étude du numérique en tant que tel, en mettant l’accent sur l’objet de l’étude.

S’il convient d’être prudent à l’égard de telles simplifications d’une réalité autrement plus complexe localement, il n’en demeure pas moins indispensable de ne pas négliger que le monde social, précisément parce qu’il est construit socialement, ne saurait être neutre dans les découpages qu’il opère lui-même sur le Monde. La physique, la biologie, l’informatique, l’économie, la psychologie, le droit, la sociologie ou l’histoire ne sont en cela que quelques tentatives de découpages artificiels de la complexité susceptibles de rendre le Monde plus lisible selon une perspective privilégiée. Imaginer que ce point de vue serait neutre ou sans incidence sur ce qu’il donne à voir ou sur les motivations à le pratiquer, le développer et le promouvoir, reviendrait à nier l’existence même du monde social.

Or, ce découpage et les pratiques qu’il tend à privilégier ont de fortes incidences sur la réception, les pratiques et les attentes non seulement vis-à-vis des traces numériques, qu’ils s’agissent d’archives numérisées ou de données nativement numériques, mais aussi de ce que leur traitement informatique est susceptible de produire. En cela, on peut émettre l’hypothèse que le qualitatif numérique est d’autant plus présent dans la recomposition des paradigmes que les disciplines qui mobilisent ce qualificatif se sont distanciées de la quantification, alors que le qualificatif social est apposé par ceux qui ont tardivement investi le monde social.

Les perturbations des virtualités du traitement de l’information, comme de la capacité des disciplines à les accueillir, se traduisent inévitablement par des tentatives légitimes de redéfinition des limites qui organisent la production de nouvelles intelligibilités. Parce que les paradigmes s’organisent autour de conditions pratiques de la recherche, le changement important de ces conditions, en l’espace d’à peine deux décennies, se traduit inévitablement par une désorganisation de ce qui est légitime ou pertinent, et par la fragilité des barrières artificielles érigées pour organiser et simplifier la production scientifique. À mesure que les données abondent et que les méthodes numériques se développent, l’importance accordée à la recomposition des champs et à la reconnaissance des collectifs de pratiques et de sensibilités ne cesse de croître.

Mais, conjointement, dans un mouvement opposé, l’importance de ces données, de ces méthodes et de ces objets s’impose avec une telle évidence, que la tentation est de plus en plus grande de ne plus vouloir leur accorder d’attention particulière. La tentation est grande de les intégrer au sein des paradigmes existants, mais au risque d’en faire des spécialités disciplinaires, ne faisant qu’apposer le terme digital aux différentes disciplines. Il est pourtant de plus en plus évident que les disciplines ne résistent pas bien à ce moment de perturbation intense des paradigmes en vigueur, alors que des enjeux transversaux s’imposent de plus en plus clairement. Il est néanmoins probable que les disciplines résistent relativement bien à ce moment, leur structuration étant plus problématique que méthodologique, et les inerties institutionnelles étant d’une rare puissance.

Dès lors, c’est souvent autour des savoir-faire techniques que s’organisent les initiatives les plus indisciplinées. Les questionnements autour de la structuration, du traitement et de la visualisation de données, la plupart du temps non dispensés dans le cadre des formations initiales jusqu’à ces dernières années, engage en effet à développer des communautés de pratiques qui se retrouvent dans cet intérêt pour des moyens renouvelés d’explorer des problématiques diverses. Qu’il s’agisse de cartographie, de graphes, d’analyse textuelle ou de séries temporelles, la tentation est grande, là aussi, de se retrouver et de partager les pratiques et les perspectives critiques les plus pertinentes.

Aussi, la confusion s’accroît lorsque les moyens deviennent des fins, lorsque des physiciens deviennent sociologues, ou que des chercheurs en sciences sociales consacrent une part considérable de leur activité à l’apprentissage ou au développement de nouvelles méthodes. Alors que les moyens se sont considérablement accrus, nous pouvons percevoir clairement que le rythme auquel se développe l’informatique ces dernières années rend illusoire la maîtrise de leur potentiel dans le cadre d’une formation de haut niveau en sciences humaines et sociales. Pourtant, comment se soustraire à cette dynamique, comment en négliger la puissance, comment ne pas vouloir participer à ce renouveau des conditions pratiques de la recherche et de la production de nouvelles intelligibilités ?

Afin de clarifier ce moment, et de rendre totalement légitimes de telles pratiques, il est certainement urgent de travailler à une culture mieux répartie, susceptible de réconcilier les deux composantes de ces mouvements. Qu’il s’agisse d’une insistance sur la computation, sur les données ou sur le social, il convient de souligner que les sciences sociales n’ont pas le monopole de l’ignorance. Lorsque l’on considère la complexité spécifique de sciences humaines et sociales, il est en cela évident que l’impératif de l’hybridation, dans ce domaine, n’est pas une option. Le prima des formalismes mathématiques ou de la maîtrise de langages informatiques, qui s’impose essentiellement par leur puissance fonctionnelle, rencontre en effet des limites croissantes, n’étant pas plus capable que les sciences sociales les plus qualitatives à prévoir les crises majeures ou à rendre le monde social plus intelligible. Au contraire, sans les enseignements de plus d’un siècle de sciences sociales, l’imposition de l’épistémologie des sciences des objets à celle des sciences des sujets se traduit par un réductionnisme d’autant plus violent qu’il est susceptible de l’être non seulement pour les disciplines qui doivent s’y conformer, mais plus encore par celles qui sont ignorées ou par les individus qui se trouvent ainsi exposés concrètement à cette réduction de leurs virtualités.

Pour lire le monde contemporain, il est tout aussi indispensable d’avoir une culture minimale des sciences sociales que de disposer d’une culture minimale de l’opérationnalisation informatique. Il est urgent que les physiciens ou les informaticiens acceptent pleinement que le sens n’émerge pas de l’accumulation de données et que les historiens ou les sociologues acceptent qu’une part non négligeable de leur champ de recherche soit affectée par des traitements de plus en plus intenses et systématiques de données.

Aussi, un tel changement ne suppose pas d’associer des compétences de sciences humaines et sociales à des compétences informatiques pour faire des humanités digitales mieux équipées ou des sciences sociales computationnelles plus sensibles à la réflexivité des sujets. Il faut s’assurer des compétences minimales dans ces domaines pour que la problématisation et son opérationnalisation soient susceptibles de produire du sens, tout en respectant les compétences des uns et des autres. Surtout, il doit être de plus en plus manifeste que s’il s’agit de sciences humaines et sociales, aussi digitales ou computationnelles soient-elles, les données et leur traitement ne sont toujours que des moyens et non des fins.

Des problématiques indisciplinées

Le numérique ne remet certainement pas en cause les disciplines sous prétexte qu’il leur serait transversal. Les disciplines n’ont pas attendu Internet, le machine learning, la numérisation des archives ou la visualisation interactive de données pour que leurs frontières se fracturent et que leur cohérence interne ne s’étiole. L’environnement, la santé, le terrorisme ou le chômage suffisent à rendre compte de la faiblesse des disciplines à se saisir de tels enjeux, dont les lectures fragmentaires ou hégémoniques se révèlent toujours impuissantes à en accueillir la complexité (Morin, 1990).

L’accumulation des connaissances exigea probablement de découper le Monde selon des points de vue spécialisés, susceptibles de produire des communautés dont les énoncés seraient approuvés parmi ceux qui en partagent les pratiques légitimes. La médecine, l’astrophysique, les neurosciences ou l’histoire médiévale exigent certainement de consacrer beaucoup de temps à leur étude, au point qu’il semblerait bien présomptueux d’aspirer à des perspectives élargies qui s’émanciperaient de tels découpages. Néanmoins, le XXe siècle aura suffi à nous convaincre que la spécialisation ne cessant pas, cette fragmentation du Monde ne fait que s’accroître, au risque de ne plus être capable d’en saisir les traits et les dynamiques les plus essentielles, alors même que ce même Monde s’impose de plus en plus systématiquement à nous.

La multiplication des points de vue qui caractérisent si bien la fin du XXe siècle constitue en cela un défi qu’il conviendrait de dépasser en ne renonçant surtout pas à la production d’un sens partagé. Il serait plus approprié d’appréhender cette pluralité de points de vue telle une richesse qui ne demande qu’à être assemblée pour donner à voir le Monde avec encore plus d’acuité. S’il est un enseignement que nous pouvons tirer de la perspective, c’est précisément qu’elle permet de mieux respecter les dimensions et la profondeur de ce qui est observé, mais aussi qu’elle n’est qu’une construction qui repose essentiellement sur un point de vue particulier, guidé par ses lignes de fuite. Un tel appel à la recomposition du Monde par la rencontre de la pluralité des points de vue peut sembler vain, tant cet appel à plus de transdisciplinarité anime la recherche depuis des années. Cet appel peut sembler encore plus illusoire lorsque ce sont les disciplines elles-mêmes qui sont remises en cause dans leurs fondements. Mais est-il encore raisonnable de maintenir l’illusion de ces découpages sous prétexte qu’ils furent provisoirement commodes pour organiser notre capacité à nous saisir d’un monde de plus en plus complexe (Venturini, Jensen et Latour, 2015 ; Halford et Savage, 2017) ? N’est-ce pas précisément cette complexité, devenue trop grande, qui nous engage à renoncer à ces découpages grossiers devenus incapables d’organiser eux-mêmes leur cohérence interne ? L’histoire des sciences suffit à nous convaincre que cela prendra du temps, sans aucun doute.

Et pourtant, puisque cette dynamique s’accélère, que la fragmentation des disciplines s’intensifie et que les étudiants se moquent volontiers de tels clivages, le temps est compté dès à présent. Car lorsque nous persistons à perpétuer des pratiques qui ne répondent plus aux exigences de ce que nous éprouvons, nous prenons le risque de ne plus avoir de prise sur le Monde. Aussi, il ne faut pas se complaire dans une simple juxtaposition des points de vue, à moins de se risquer à réduire cet enjeu à ce que le cubisme proposa il y a plus d’un siècle. Il s’agit plutôt de confronter, de partager et d’intensifier les échanges autour de problématiques communes afin de multiplier les perspectives sans s’imposer de les réduire à un plan et à un cadre, unique, qui devraient finalement en rendre compte. La communauté scientifique doit se réconcilier avec le bricolage, avec l’exploration, avec l’humilité, avec le partage et ne pas perdre de vue qu’elle aspire essentiellement à rendre le Monde plus intelligible. Alors que la spécialisation tend à produire des savoirs et des communautés qui se caractérisent de plus en plus par l’autoréférence, nous avons au contraire besoin de renoncer à nos points de vue surplombants et de plus en plus étroits, qui négligent des angles morts de plus en plus vastes.

Cette urgence du partage, du décloisonnement et de l’humilité, nous l’avons observée avec une rare intensité ces derniers mois, avec l’émergence soudaine d’une pandémie qui a déstabilisé le Monde en quelques semaines. L’urgence de savoir a rappelé l’ampleur de notre ignorance et notre besoin intense de voir et plus encore de prévoir pour mieux se situer. Alors que ceux qui se confrontaient à la complexité de ce à quoi nous étions exposés restaient prudents, nous devions choisir entre la certitude assénée par un mandarin local ou par la science internationale d’excellence qui, ainsi exposés à un plus large public, révélèrent leurs limites en quelques semaines à peine. Entre les généralisations hâtives depuis des cas particuliers et la prétention au traitement massif de données pourtant inaccessibles, hétérogènes et décontextualisées, nous fûmes confrontés à une confusion croissante entre les exigences de la pratique scientifique et celle de la politique ou de la citoyenneté. Rarement, il fut aussi évident que nous ne savions ni voir ni prévoir dans de telles circonstances. Rarement, la complexité du Monde s’est imposée à nous à un tel rythme, alors que le virus, comme ce que nous en disions, circulait à une vitesse inédite, ne faisant qu’ajouter à la complexité de ce que nous éprouvions.

Les courbes et les cartes furent présentées à profusion, dans une cacophonie exemplaire. Il fallut isoler le problème, identifier ce à quoi nous étions exposés, savoir comment le mesurer et, plus encore, comment en saisir la dynamique. Partagés entre données absolues et relatives, entre échelles linéaires et logarithmiques, entre échelles nationales et échelles locales, entre testés, contaminés et victimes, entre données historiques et modélisations, les points de vue sur la pandémie se traduisaient en images dont il était difficile de saisir le sens sans disposer d’une culture minimale quant à leur production et leur interprétation. Alors qu’il nous fallait « aplatir » des courbes à venir, nous devions nous faire à l’évidence que les modèles, comme les données qui les alimentent, n’étaient que des constructions fragiles sur lesquels nous nous reposions pour prendre des décisions qui engageaient des vies et qui mettait en péril nombre d’activités déjà vulnérables. Il apparut de plus en plus clairement que les « contaminés », comme les « morts », devaient tant à l’exposition au Covid-19 qu’à la mesure et plus encore à la perception de cette exposition. Selon les circonstances, les pays, les cultures locales et les enjeux politiques, et en l’absence de tests en quantité suffisante, les mesures variaient considérablement, jusqu’à ce que le président des États-Unis conclue qu’il suffisait de prendre moins de mesures pour que les statistiques lui soient plus favorables.

Et pourtant, nous avions besoin de voir et plus encore de prévoir. Il fallut se résoudre enfin à l’idée qu’en donnant à voir l’avenir par l’entremise des modélisations pour convaincre de prendre des mesures préventives, nous nous exposions à la critique de n’avoir jamais pu voir ce qu’aurait été l’avenir sans de telles mesures. Puisse une telle crise nous convaincre que les prévisions, dans un tel domaine, ne sont que des intentions qui œuvrent à mieux maîtriser notre devenir, animé par la volonté de le changer. Tant que l’on cherchera à prévoir le monde social comme on prévoit le mouvement des planètes, l’interaction entre des atomes ou l’organisation d’une fourmilière, nous échouerons lamentablement du refus grotesque de prendre au sérieux ce qui constitue notre singularité : être réflexif et en cela particulièrement sensibles aux prévisions. Tant que l’on cherchera à voir sans tirer profit de ce que les disciplines qui consacrent le plus de temps au traitement de l’information et à la modélisation ont développé, nous nous priverons de moyens susceptibles de rendre plus commensurable la pluralité de nos points de vue. Tant que l’on imaginera que la prévision n’est pas autre chose que la simple projection de ce que nous avons déjà vu, sans avoir l’assurance que cela ne se reproduise, nous nous exposons à des déconvenues d’autant plus grandes qu’elles nous priveraient de dispositions à produire des mondes plus désirables que d’autres.

Il est au moins une leçon que nous pouvons tirer de cette pandémie : la prévision, en sciences sociales, a aussi vocation à infléchir l’avenir afin de le changer à notre avantage. L’incertitude est en cela particulièrement ambiguë, car elle est partagée entre deux composantes tout à fait distinctes : la première porte sur la complexité inhérente au monde social, qui nous encourage à donner à voir des mondes selon le plus de points de vue possible. La seconde porte sur les réactions possibles aux visions du présent ou aux prévisions de l’avenir, tant elles sont susceptibles de le changer. Dit autrement, si la physique pouvait prévoir le réchauffement de la Terre lié à l’évolution des émissions solaires, nous pourrions changer l’avenir en nous adaptant à ce réchauffement, mais nous ne changerions rien à la source même de ce réchauffement, qui relève de phénomènes qui nous échapperaient totalement. Mais lorsque l’on ajoute à cela une composante de ce réchauffement d’origine anthropique, la complexité s’accroît considérablement. Nous avons dès lors deux options complémentaires d’ordre tout à fait différentes : modifier ce qui est à la source de ce réchauffement ou intervenir sur ce qui sera affecté par ce réchauffement, c’est-à-dire réorganiser nos propres modes d’existences. Une pandémie, comme le changement climatique, exige en cela des dispositifs d’intelligibilités spécifiques, afin de mieux percevoir présentement ce qui est et d’entrevoir avec plus de discernement ce qui n’est pas encore, tout en admettant pleinement qu’une part de l’évolution de tels phénomènes est aussi un acte politique.

Aussi, la visualisation des données que nous produisons activement peut être critiquée lorsqu’elle donne non seulement à voir, mais aussi à prévoir. En revanche, n’est-il pas urgent de saisir à quel point les visualisations ne sont pas plus construites que des textes qui auraient la même prétention ? Si de telles images sont des constructions qui reposent sur des langages, n’est-il pas temps de promouvoir la littératie qui les anime, et d’apprendre à les lire et à les écrire (Guichard, 2014) ? Afin de nous émanciper de la tentation performative des représentations visuelles (Lussault, 2007), ne devrions-nous pas promouvoir l’analyse de leur contexte, de leur production, de leur usage et de leur matérialisation (Söderström, 2000), et les habiliter pleinement parmi les rares moyens à notre disposition pour apprécier ce que nous ne parvenons pas à saisir par d’autres moyens ?

Lorsqu’elles sont écrites avec la plus grande attention, les images synthétiques ne méritent-elles pas une place honorable parmi les plus nobles synthèses de l’hétérogène (Dubied, 2000), qui œuvrent à nous éclairer, même modestement, dans l’immensité qui autrement nous submergerait ? Que la politique repose sur des prévisions fiables ou non n’y change rien : en agissant sur le Monde, nous le changeons, et plus nous avons l’expérience de ce changement, plus nous saisissons les prises que nous avons sur l’avenir, et plus nous sommes susceptibles de l’infléchir à notre avantage. Comprendre que les dispositifs qui nous équipent dans notre perception du monde social et de ses dynamiques sont des moyens de nous adapter, mais plus encore de changer le Monde est décisif. Aussi, nous comprenons pleinement pourquoi il faut se donner les moyens de voir le Monde avec le plus de richesse possible et de ne jamais oublier d’exercer notre capacité collective à produire des mondes d’autant plus désirables qu’ils seront respectueux de cette pluralité.

Bibliographie


  1. Gabriel Tarde, 1890, « Les Lois de l’imitation », Ed. Félix Alcan, Paris, p. 192.↩︎

  2. Cette problématique était clairement exprimée par Auguste Comte ou Gabriel Tarde (Comte, 1844 ; Tarde, 2001), avant d’être reprise en des termes semblables chez Bruno Latour (Bruno Latour, 2010 : 160-61), mais aussi chez des physiciens tels qu’Alex Pentland (Pentland, 2014 : 97-98,190,209).↩︎

  3. La critique est volontairement caricaturale et s’inspire d’un sens commun quant à lui relativement bien réparti, mais aussi d’une tendance politique de plus en plus affirmée aux États-Unis, au Japon, et plus exceptionnellement en France.↩︎

  4. Sur ce point, Pierre Bourdieu décrivait déjà efficacement cet enjeu dans son cours au Collègue de France en 1984, en utilisant l’analogie des champs de force (Bourdieu, 2017 : Prise de position sur les positions, para. 3 [ePub]). Ian Hacking résume cette disposition réflexive des objets d’études en distinguant les sciences interactives et non interactives, selon que les énoncés aient ou non des incidences sur ce qui est étudié (Hacking, 1999). L’histoire occupe en ce sens une situation exceptionnelle, s’inscrivant dans une complexité intermédiaire, puisqu’elle est confrontée rétrospectivement à la complexité de la réflexivité des sujets qu’elle étudie, bien que ces derniers soient insensibles aux discours énoncés présentement à leur égard.↩︎

  5. La propension de Bruno Latour à étendre précisément le social à l’ensemble des relations, peu importe qu’elles relèvent des humains ou des non-humains (Bruno Latour, 2006a ; Bruno Latour, 2010), participe pleinement de cette réhabilitation de la sociologie du XIXe siècle promue par Auguste Comte et plus tardivement par Gabriel Tarde (Bruno Latour, 2010), bien que ce dernier fût bien plus réservé sur ce point (Tarde, 2001 : 196).↩︎

  6. Nous maintenons volontairement les expressions en anglais car ce renouveau de la physique sociale est beaucoup plus présent aux États-Unis qu’en Europe continentale. Par ailleurs, les débats actuels entre numérique et digital (cf. infra) encouragent à respecter le contexte d’émergence de ces appellations.↩︎

  7. Ce point mériterait plus d’attention, mais cela dépasserait l’intention de ce texte. Cette complexité peut être appréhendée du point de vue de la singularité des entités considérées et la quantité des relations qu’elles entretiennent, de leurs capacités d’incorporation, de leur propension à la réflexivité et, enfin, de la difficulté à en apprécier les qualités par la seule observation, au-delà des éléments les plus caricaturaux.↩︎

  8. La notion de reproduction chez Bourdieu dénonce précisément cette propension à naturaliser des situations construites, par l’éducation, dont la détermination n’est pas le fait de la nature, mais de la culture (Bourdieu et Passeron, 2018 ; Bourdieu, 1987).↩︎

  9. Alex Pentland ou Albert-László Barabási sont emblématiques de ce déplacement de la recherche sur le monde social. Tous deux physiciens, ils sont cités l’un est l’autre plus de 100000 fois et disposent de données ou de fonds de recherche très importants, alors même qu’ils travaillent essentiellement sur des problématiques qui relèvent des sciences sociales. Ils sont pourtant presque totalement négligés par les chercheurs en sciences humaines et sociales.↩︎

  10. Le n°1 de la revue Études Digitales propose une lecture croisée et réflexive représentative des enjeux relatifs à l’usage alternatif de numérique ou de digital (Cormerais et Gilbert, 2016 : 251-68).↩︎

  11. Parmi ces appellations, la digital sociology semble s’être distinguée de la perspective plus élargie des digital humanities, qui s’inscrivent plus ouvertement dans une perspective pluridisciplinaire (Orton-Johnson et Prior, 2013 ; Lupton, 2014 ; Marres, 2017).↩︎

  12. Dans le domaine des humanités, les THATCamp eurent par exemple un rôle important, dont celui de Paris en 2010, qui est à l’origine du Manifesto for the Digital Humanities (Dacos, 2011).↩︎

  13. Les débats relatifs à la reconnaissance faciale aux États-Unis et au développement du crédit social en Chine sont particulièrement éclairants sur ce point.↩︎

  14. C’est précisément en ces termes que Martin Grandjean présente l’enjeu d’une association telle qu’Humanistica : rassembler, représenter, animer et réaliser (Grandjean, 2018). Le big data a par ailleurs engagé un débat approfondi en sociologie, qui appelle à plus de considération et d’attention pour l’incursion de nouvelles disciplines dans l’étude des phénomènes sociaux, en s’intéressant particulièrement aux enjeux méthodologiques et épistémologiques correspondants (Savage et Burrows, 2007 ; Ollion et Boelaert, 2015 ; Baya-Laffite et Benbouzid, 2017 ; Bastin et Tubaro, 2018).↩︎

  15. Gephi et la communauté qui s’est développée autour de ce projet de visualisation de graphes illustrent parfaitement la transdisciplinarité des outils et des méthodes. Matthieu Jacomy, qui a longtemps développé et animé ce projet, a lui-même particulièrement bien décrit le statut scientifique problématique de ce type d’initiative (Jacomy, 2020).↩︎

  16. Le LancetGate illustre parfaitement cette tension extrême entre le mandarin qui prétend avoir raison contre tous à la force de son expérience personnelle et la science internationale « d’excellence » désincarnée au point de ne plus avoir de prise sur ce qu’elle prétend décrire.↩︎

  17. La grippe espagnole, bien plus dévastatrice, fut pourtant en grande partie ignorée de ses contemporains. Elle porte d’ailleurs le nom d’un pays qui n’en fut ni la source, ni la principale victime, et qui présentait juste la particularité d’être relativement épargné par la guerre.↩︎

  18. La Belgique, qui adopta une des politiques qui reposait sur un usage massif des tests fut l’un des pays en apparence les plus touchés. Afin de mieux maîtriser ce biais inévitable, il apparut rapidement que seule la surmortalité relative aux dernières années nous informerait a posteriori de l’ampleur de la pandémie et de son affection différentielle selon les pays.↩︎