Le binge watching, artéfact de la télévision numérique

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Le binge watching — visionnage a minima de deux épisodes consécutifs d’une même série télévisée — est une notion incontestablement polysémique que l’on peine à définir de manière satisfaisante, sinon en se référant à la complexe histoire de son élaboration conceptuelle. C’est la raison pour laquelle nous nous proposons, ici, d’en esquisser une lecture à la fois diachronique et synchronique tout en insistant, d’un point de vue épistémologique, sur sa dimension rigoureusement « spatiale » (Beaude, 2012). On l’aura compris, il s’agira de dépasser les houleuses controverses visant à déterminer si cette pratique existe ontologiquement ou non par un examen plus approfondi sur les pratiques d’étiquetage (Becker, 1985) qui font exister cette consommation présumée abusive de séries télévisées à l’ère du numérique. Finalement, il conviendra d’aborder les stratégies employées par quelques acteurs du champ social et dont Netflix s’érige en figure tutélaire, afin de cerner les enjeux propres à la maximisation de l’économie de l’attention (Crary, 2016) à laquelle semble être inféodé le binge watching.

Le binge watching : objet au cœur de débats profanes et experts

Historiquement, le binge watching est lié à l’émergence de la Quality TV (McCabe et Akass, 2007) qui se présente comme une étiquette à valeur distinctive (Bourdieu, 1979) pour le très déprécié médium télévisuel. En s’attaquant à des programmes réputés être de piètre qualité à l’instar des dramas des années 1950 destinés à un public de masse et à la féminité traditionnelle (Petro, 1986 ; Lentz, 2000), le syntagme « Quality TV » recoupe plus spécifiquement, à partir des années 1990-2000, le discours propre aux chaînes américaines du câble comme Showtime ou HBO convoitant un public de niche exigeant et économiquement prospère, comme en témoigne de surcroît le fameux slogan : « It’s Not TV. It’s HBO ». La consommation sélective de séries TV de qualité à l’image de Twin Peaks (Lynch et Frost, ABC, USA, 1990-1991) ou The Sopranos (Chase, HBO, USA, 1999-2007) devient, par conséquent, une activité socialement acceptable pour tout un chacun. Nombreux·ses sont dorénavant les téléspectateur·rice·s à succomber à la tentation de « marathons TV » (Perks, 2015), mais c’est avec l’avènement de la télévision numérique transmettant « potentiellement en quelques seconde […] de tout lieu à tout lieu, sans hiérarchie a priori » (Beaude, 2012 : 38) un large choix de programmes via un système basé sur un code binaire — contrairement à la télévision analogique s’appuyant sur une diffusion hertzienne et à la VHS ou, plus tard, au DVD étant fonction de transactions territoriales — que le phénomène prend davantage d’ampleur.

Dans la culture profane, le binge watching réactive concomitamment des discours antimodernes et technophobes — structurant les sociétés euro-américaines depuis la Révolution industrielles[1] — comme en atteste, par exemple, la fréquente stigmatisation des consommateur·rice·s de séries puisque l’on présuppose volontiers que les binge watchers sont des « adultes en émergence » (Arnett, 2000), foncièrement parverti·e·s par leur consommation d’écrans jugée excessive[2] et vivant en austère retraite. Signalons conjointement que, dans la sphère francophone, le binge watching est teinté d’une forme d’antiaméricanisme, compte tenu qu’il n’existe pas d’équivalent français à ce vocable. Autrement dit, cette stricte absence de traduction marque bien le mépris général que suscite une telle pratique que l’on cantonne à une forme de déviance culturelle étasunienne qui tenterait de s’imposer, bon gré, mal gré, en Europe.

Dans la culture experte, enfin, le binge watching constitue un obstacle épistémologique (Bachelard, 1972), lié au remploi de tout un arsenal de grilles d’analyse issues d’études portant sur le binge drinking, c’est-à-dire de théories et de méthodes développées dans l’examen de troubles mentaux comme l’addiction (alcoolisme). Le technocritique psychologue Mark D. Griffith estime symptomatiquement que l’on assiste, dès la fin du XXe siècle, à une augmentation saillante, dans les sociétés occidentales, de comportements (potentiellement) addictifs sans l’administration de substances psychoactives : il s’agit des jeux d’argent et de hasard, des excès alimentaires, du travail, de l’exercice sportif, du sexe, des jeux vidéos ou de l’Internet (Griffith, 1996 et 2005) — une liste à laquelle se greffe aisément le binge watching. Subrepticement, la recherche tend ainsi à alimenter cette technophobie ambiante en établissant le fait que les consommateur·rice·s compulsif·ve·s de séries télévisées (Walton-Pattison et al., 2017) présenteraient couramment un déficit au niveau motivationnel et volitionnel — corrélé à une propension à la dépression[3] — qui les empêcherait de mettre un terme à une session de visionnage sur Netflix ou Amazon Prime Video (Wheeler, 2017). Cet usage effréné de séries serait expliqué par un fort « état d’excitation hypnagogique » (pre-sleep arousal), lui-même catalysé par la fréquence de la lumière bleue des appareils (laptop, tablette tactile, smartphone) mobilisés lors de la consommation de tels programmes et perturbant nuitamment la sécrétion de mélatonine (Exelmans et Van Den Bluck, 2017)[4]. Remarquons cependant qu’il existe un faible répertoire d’études expérimentales considérant le binge watching comme une activité non-pathologique[5] : si les « marathons TV » diminuent, au cours du temps, la compréhension et le stockage des informations dans la mémoire à long terme (Horvath et al., 2017), c’est au profit d’un engagement cognitif et affectif, certes bref, mais des plus intenses (Pittman et Sheehan, 2015) qui répondrait à un « besoin d’appartenance », d’où l’utilisation fréquente et simultanée (multitasking) des réseaux sociaux, forums Internet et SMS afin d’interagir avec autrui lors de la consommation de séries (Cohen et Lancaster, 2014). « Plus qu’un média, Internet est [donc] une médiation […], il est devenu l’un des espaces contemporains les plus importants. […] Changer l’espace [et a fortiori la télévision], c’est toucher à ce que le social a de plus intime : la relation. Changer l’espace, c’est changer la société » (Beaude, 2012 : 114-115).

De la télévision analogique à la télévision numérique ou la réaffectation d’un espace pornotopique en espace synchorique

La télévision analogique s’impose dans les foyers américains à partir des années 1945-1950 selon une logique hétérotopique (topos)[6], intrinsèquement liée au territoire entendu au sens d’espace de la continuité (Beaude, 2012 : 48). Dans une double conférence radiophonique diffusée les 07 et 21 décembre 1966 sur France Culture et donnant lieu à la publication d’un ouvrage posthume, le philosophe Michel Foucault définit l’hétérotopie comme un lieu affecté d’une certaine matérialité où se trouvent éparpillés en fragments des espaces uniques à la fois durs, friables, pénétrables et poreux. « L’hétérotopie a pour règle de juxtaposer en un lieu réel plusieurs espace qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles » (Foucault, 2009 : 28-29). Rompue au travail du rêve et de l’imaginaire, l’hétérotopie figure donc un rapport décalé et perturbateur à une réalité tangible, permettant réciproquement l’affrontement, le recouvrement, l’accumulation et la condensation de plusieurs temporalités en son sein (ce que Michel Foucault nomme hétérochronie). Localisé dans un contre-espace théâtralisé, le poste de télévision hante de fait la sphère domestique (living room) par son pouvoir de figuration et de mise en scène de « lieux réels », enjoignant les téléspectateur·rice·s à s’engager dans un système de croyance marqué par le désaveu (« Je sais bien (que c’est faux) mais quand même (j’y crois) ») (Mannoni, 1969). Or, plus qu’un espace hétérotopique, la télévision analogique est un espace « hétérotopique sexualisé » ou pornotopique, un lieu qui, « dans la topographie sexuelle de la ville [moderne], provoque des altérations des codes normatifs du genre et de la sexualité, des techniques du corps et des pratiques de production du plaisir » (Preciado, 2011 : 119-120). En effet, le dispositif de la télévision analogique s’institutionnalise lorsque, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les classes moyennes américaines blanches habitant les grandes villes du pays migrent vers la banlieue (white flight) :

La conception spatiale du pavillon de banlieue [suburb] n’est pas seulement une conséquence de la menace d’une éventuelle attaque nucléaire sur les grandes métropoles américaines, qui pousserait à la décentralisation et à la construction de quartiers résidentiels familiaux éloignés des noyaux urbains. Elle est également une traduction architecturale des prémisses de la redéfinition de la masculinité, de la féminité et de l’hétérosexualité qui avaient structuré la purification sexuelle, raciale et politique de la société américaine initiée par McCarthy. […] [Le pavillon de banlieue est ainsi l’objet] par excellence de la production fordiste, […] un dispositif biopolitique, visant à gouverner non seulement les individus à travers un certain nombre de procédés disciplinaires, mais aussi la reproduction de l’ensemble des vivants constitués en population. La polarité pavillon de banlieue/centre-ville [downtown] produisait une ségrégation genrée et raciale plus violente que celle qui avait dominé l’espace métropolitain du XIXe siècle. Tandis que les hommes conduisaient leur automobile, sur les nouvelles autoroutes, vers leur lieu de travail, les femmes et les enfants demeuraient confinés dans les enclaves suburbaines. À l’intérieur de la maison unifamiliale, la femme se transformait en travailleuse domestique et sexuelle non salariée à temps complet au service de la consommation et de la (re)production familiale (Preciado, 2011 : 36-37).

Seule la télévision constituait, pour la femme au foyer, une fenêtre ouverte sur le Monde (Spigel, 1992). Or, avec le numérique, le dispositif télévisuel se voit réaffecter en espace synchorique (chôra) décentralisé[7], lieu réticulaire où la distance entre des réalités connexes n’est pas pertinente (Beaude, 2012). Eu égard à la télévision analogique, la télévision numérique se caractérise donc par sa capacité de « diffusion […] sans a priori. Il s’agit d’un environnement relationnel dont la force réside essentiellement dans la faiblesse des liens unitaires, totalement diffus » (ibid : 159). Autrement dit, regarder la télévision ne signifie plus (exclusivement) prendre place devant un poste contigu, mais faire davantage appel à des dispositifs numériques de computation (ordinateurs, tablettes tactiles, téléphones portables) qui, nous le verrons, ne sont pas entièrement neutres bien qu’affranchis de contingences territoriales (Citton, 2016). En ce qui concerne le binge watching, les informations (les séries) sont désormais transmises (via un code binaire dématérialisé) pour quiconque et de manière permanente par le truchement de multiples plateformes dont Netflix fait figure de parangon :

La numérisation et le traitement automatisé de l’information permettent en effet de la stocker et de la restituer à la demande […]. Les moyens de transmission antérieurs les plus courants [à l’instar de la télévision analogique] n’autorisent pas cela, car ils se limitent généralement à un flux […] le temps de la connexion [synchronique et non-synchorique] et exigent des dispositifs individuels, comme […] les magnétoscopes, pour décaler le temps de la transmission et le temps de l’usage (Beaude, 2012 : 55).

Le binge watching à l’ère du Big Data

Au-delà de ces considérations pragmatiques sur le binge watching, il est nécessaire, nous semble-t-il, d’élaborer une réflexion plus générale sur cette consommation inédite de séries télévisées en y intégrant une analyse méthodique des données nativement numériques, consécutives à cette pratique[8]. Pour ce faire, il nous incombe de rappeler que nombreuses sont les plateformes de vidéo à la demande (VOD) en flux continu comme Netflix à faire appel à de complexes algorithmes afin de maximiser la personnalisation[9] des suggestions relatives aux programmes sériels et, partant, de favoriser le binge watching — à la fin de chaque épisode, saison ou série sont en effet proposées d’autres séries abordant des thématiques similaires, mettant en scène des personnages analogues ou, encore, jouissant d’une atmosphère diégétique comparable (Khosla, 2017). Dans un récent articles paru en ligne, plusieurs ingénieur·e·s (data scientists) de Netflix ont, par exemple, déclaré recourir au machine learning (contextual bandits online) pour allouer à leurs utilisateur·rice·s des contenus hautement individualisés, où les illustrations et les titres des rubriques apparaissant sur la page d’accueil de l’interface étaient déterminés par le recensement de l’historique de chaque abonné·e (Chandrashekar et al., 2017)[10].

Chandrashekar et al., 2017

Si, en amont, des artistes et des designers sont appelé·e·s à réaliser plusieurs visuels différents pour une même série, c’est avec le traitement des données nativement numériques antérieures (programmes consommés ; préférences génériques ; pays ; monnaie utilisée ; version choisie, c’est-à-dire visionnage en VOSTF ou non ; heure à laquelle la série est regardée ; etc.) qu’est in fine proposée à l’usager·ère une configuration unique parmi tant d’autres. L’amateur·rice de programmes « romantiques » voit ainsi sa page d’accueil truffée de codes visuels décrétés correspondre à cette catégorie sémantico-syntaxique (couple hétérosexuel enlacé sur fond légèrement flou avec une palette chromatique dans les tons chauds), là où l’amateur·rice de comédies se voit offrir des visuels mettant davantage l’accent sur un·e acteur·rice dont la personna se trouve associée à ce genre particulier, et ce pour les mêmes séries. On l’aura compris, Netflix est bien plus qu’une technique spatiale encourageant le binge watching dans une logique de clickbait : il s’agit d’un puissant « panoptique[11] contemporain » (Beaude, 2012 : 101) qui « assure la convergence des relations, créant à chaque instant un espace singulier. [Netflix] est un dispositif qui assure l’interaction, le contact et la communication […] [d’] espaces de synchorisation réticulaires » (ibid : 108).

L’édification de Netflix en panoptique benthamien sert évidemment des intérêts pécuniaires, sachant que la plateforme ne fait pas que suggérer des contenus sur la base de séries binge watchées dans le passé : souvent l’algorithme de l’entreprise étatsunienne tend discrètement à conduire les abonné·e·s, selon leurs préférences individuelles, à consommer telles ou telles séries de l’Univers Marvel (UM) appartenant au groupe Disney puisque ce dernier a conclu, en 2013, un accord financier historique avec Netflix (Mugnier, 2017)[12].

Mugnier, 2017

Le panoptisme immanent à la télévision numérique possède, par ailleurs, des implications et des applications plus politiques comme le certifie, par exemple, l’homme d’affaires américain Jared C. Kushner dans un entretien accordé au magazine Forbes (Bertoni, 2016) : lors de la campagne à l’Élection présidentielle américaine de 2016 menée au profit du candidat républicain Donald J. Trump qui n’est autre que son beau-père, Jared C. Kushner n’a pas hésité à faire appel aux services de l’entreprise privée Cambridge Analytica pour disséquer les données numériques du Comité national républicain (RNC) au regard de thématiques politiques (économie, immigration et société) et d’habitudes télévisuelles (Deep Root Analytics). Ayant constaté que les binge watchers de la série The Walking Dead (Frank Darabont et Robert Kirkman, AMC, USA, 2010-) étaient censément tourmentés par des questions d’immigration[13]., la décision a été prise de diffuser, à la télévision, les clips anti-immigration de Donald J. Trump lors des pauses publicitaires dudit show selon des zones territoriales spécifiques, géolocalisées sur Google Maps.

Économie de l’attention

Exploiter des données nativement numériques au bénéfice de partis politiques, de groupes financiers ou de l’industrie cinématographique revient ab initio à domestiquer l’attention des individus en général (Crary, 2016 ; Casetti, 2015) et des binge watchers en particulier, consommant leurs programmes préférés sur des plateformes synchoriques qui s’opposent au dispositif pornotopique de l’ère de la télévision analogique. Activité non-pathologique s’il en est, le binge watching nous oblige donc individuellement et collectivement à prendre en considération ces différents aspects bien que leur visibilité — lieu réticulaire oblige — constitue un obstacle majeur, d’autant plus que « cette spatialité […] est maîtrisée par quelques acteurs privés. Ils disposent ainsi d’une connaissance et d’un contrôle inédit sur nos pratiques et notre vie privée, que nous n’accepterions d’aucun acteur territorial » (Beaude, 2012 : 83).

Notes

[1] La croissante Révolution industrielle du XIXe siècle occasionne le remplacement d’une conception victorienne du corps comme réservoir moral et instrumental productif par une conception moderne dudit corps inféodé à la machine : l’homme se perçoit dès lors comme étant profondément dépersonnalisé, atomisé, émasculé car éloigné de la Nature où il puisait auparavant ses forces et pouvait se régénérer. Par son pouvoir de sur-domestication, la machine cristallise donc des peurs technophobes (Courcoux, 2017 ; Jarrige, 2016).
[2] À cet égard, il n’est pas étonnant d’assister récemment, sur le plateau aux kitsch couleurs pastel d’un numéro de l’émission testimoniale de France 2 Ça commence aujourd’hui et intitulé « Écrans : comment éviter que nos ados deviennent accros ? » (07 septembre 2017), au déploiement de vives critiques à l’encontre du binge watching, ce qui donne lieu à des séquences saisissantes où les intervenants et spécialistes mobilisés pour l’occasion — essentiellement des hommes s’adressant à des mères inquiètes ayant répondu à l’appel à témoin du programme — cherchent leur terminologie dans le registre des troubles mentaux (« visionnage boulimique »). Notons que l’émission est aussi un prétexte pour condamner de manière simple et sans réplique les potentialités qu’offre le Big Data. Sur le caractère normatif de ce genre de programme en termes de santé somatique ou mentale, voir Hélène Romeyer, 2007.
[3] Les chercheur·euse·s vont même plus loin lorsqu’ils affirment inexplicablement que le binge watching, en tant qu’activité sédentaire, serait corrélé à un risque d’obésité, de diabète de type II ou d’accidents cardiovasculaires. Si l’on craignait, à l’ère de la télévision analogique, la survenue de sécheresses oculaires suite à une exposition prolongée devant un poste de télévision (Spigel, 1992), on constate sans peine que l’on incrimine pareillement la télévision numérique dans ses éventuelles capacités à porter atteinte au corps (lumière bleue des LED ; chaleur émise par les appareils souvent posés à hauteur de taille et conduisant à une réduction de la concentration de spermatozoïdes chez l’homme).
[4] S’ajoute à cela un intense travail cognitif chez les binge watchers afin de résoudre les nœuds narratifs laissés en suspens (cliffhangers), inhérents au récit sériel.
[5] Conformément à la théorie des usages et gratifications (Katz et al., 1973), il ne s’agit plus d’étudier ce que les médias font à leurs usager·ère·s, mais d’apprécier ce que ces dernier·ère·s font des médias.
[6] Cette logique préside également au dispositif proto-télévisuel des années 1900 (Albera et Tortajada, 2009 ; Boillat, 2009 ; Delavaud, 2011).
[7] Pour filer la métaphore en termes psychanalytiques, la chôra qui désigne au sens propre un espace limité de terre et au sens figuré la situation sociale (Beaude, 2012 : 67) pourrait être lue à l’aune du fantasme de la chôra tel que Kaja Silverman l’analyse à partir de trois textes de Julia Kristeva, où la mère (l’humanité) et l’enfant (la technique spatiale) fusionnent pour abolir la distinction intérieur-extérieur (Silverman, 1988).
[8] En d’autres termes, il ne s’agit plus d’étudier les acteurs comme le prônait la théorie constructiviste de l’acteur-réseau qui consistait à connecter des entités entre elles, autrement dit à tracer des réseaux (Latour, 2007), mais à se focaliser sur le médium lui-même (Rogers, 2013).
[9] Sans tomber dans une forme de critique paranoïaque, nous pourrions avancer l’idée que cette personnalisation répond au principe althussérien marxisant de l’interpellation de l’individu en tant que sujet « toujours-déjà-sujet » (Althusser, 1976 : 114-115).
[10] À ce propos, les data scientists de Netflix attestent vouloir généraliser, dans le futur, cette pratique de « personnalisation » aux synopsis et aux bandes-annonces (trailers).
[11] Pour une analyse foucaldienne des dispositifs d’audiovision, voir l’approche développée par le groupe de recherche Dispositifs de l’Université de Lausanne (Albera et Tortajada, 2004 ; Tortajada, 2004 ; Albera et Tortajada, 2009 ; Albera et Tortajada, 2011).
[12] Aujourd’hui, ce deal est toutefois remis en question car le groupe a fait savoir qu’à partir de 2019 ses productions Pixar et Disney ne seront plus disponibles sur Netflix (Madelaine, 2017), d’où le lancement stratégique de Movies Anywhere par ladite firme Disney (Marin, 2017). Ce retrait pourrait s’étendre, de surcroît, aux réalisations de l’UM ou de LucasFilms possédant les droits de la saga très lucrative de Star Wars. Conséquemment, Netflix s’est empressé de promouvoir ses créations originales centrées autour de super-héros ou super-héroïnes (Madelaine, 2017).
[13] Les sympathisants républicains regardant la séries N.C.I.S (Donald P. Bellisario et Don McGill, CBS, USA, 2003-), quant à eux, seraient davantage intéressés par une réforme, voire une suppression de l’Obamacare, estime Cambridge Analytica.

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Raphael Tinguely