La smart city, menace ou opportunité pour la cité?

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Depuis quelques années, le concept de smart city apparaît régulièrement dans le discours politique et médiatique, cependant il reste difficile d’en donner une définition claire. Selon la perspective choisie, la smart city repose sur une conception politique, économique ou sociale de la ville. Dans tous les cas, la dimension technologique paraît s’imposer et influencer la manière dont la ville est perçue et gérée. La multiplication des dispositifs numériques a permis d’envisager une ville dans laquelle de nombreuses activités peuvent désormais être enregistrées et mesurées. Analyse des flux, efficacité des transports, optimisation énergétique, gestion de la sécurité ou réduction des coûts sont quelques-uns des arguments avancés pour défendre un environnement optimisé grâce à la technique. Ces approches « intelligentes » de l’efficacité d’un système urbain sont en partie liées aux progrès technologiques en matière de collecte et analyse de larges corpus de données. La smart city est donc ici envisagée comme un espace au sein duquel les traces numériques sont captées et analysées dans le but d’optimiser la compréhension, le contrôle et la planification de la ville. Mais quelle est l’incidence de l’analyse de ces données sur la gestion de l’espace urbain ? S’agit-il d’une opportunité ou d’une menace pour le développement et la gouvernance d’une ville ?

Pour tenter de répondre à ces questionnements, ce texte comportera tout d’abord une partie théorique, qui traitera de la façon dont ces nouvelles données et outils analytiques centrés sur l’individu ont changé les méthodes d’appréhension et d’analyse du monde social. Dans une seconde partie, plus succincte, il s’agira d’aborder la manière dont les pratiques et les représentations de l’espace urbain ont été transformées par la possibilité de visualisation des données, notamment sous forme de cartes. Puis, dans un troisième temps, ce texte se penchera sur la récente création de l’outil Uber Movement, qui nous permettra de mobiliser un cas concret articulant les enjeux épistémologiques et politiques que soulèvent la collecte de données par des entreprises privées et leur utilisation pour le bien public.

1. Une ville de données à explorer

Pour comprendre comment les données sont devenues un élément clé dans la gestion des villes, il faut tenter d’esquisser les enjeux qu’elles constituent pour la recherche mais également pour l’élaboration et la mise en œuvre de politiques urbaines.

La collecte de données chiffrées a depuis longtemps servi d’appui à la compréhension des phénomènes sociaux. Elle consistait généralement en l’élaboration de statistiques issues de modèles testés sur un échantillon représentatif de la population. Cependant, le domaine des statistiques traditionnelles, basé sur les notions stables de catégories, a été transformé par l’arrivée des données numériques et d’outils permettant de les traiter. Le terme big data, couramment utilisé, ne désigne pas uniquement la grande quantité de données disponibles mais il implique également la capacité de recueillir, agréger et recouper de larges corpus d’informations (Boyd et Crawford, 2012) dont la portée et le niveau de détails changent la façon dont on perçoit et mesure notre environnement (González-Bailón, 2013). Ces traces sont produites de façon consciente ou inconsciente par une multitude d’individus dans diverses sphères de leur environnement, procédant d’un phénomène de « digitalisation de la vie même » (Rouvroy et Berns, 2010). Les données ne nécessitent plus de rigoureux protocoles de production, elles sont captées et mises à disposition de façon quasiment automatique et systématique.

Le big data serait ainsi la promesse d’une information abondante et précise à moindre coût, offrant un saisissement du monde à la fois individuel et global (Kitchin, 2013).

Promesses et défis

Ces données ouvrent de nouveaux champs d’analyse du monde social mais doivent être appréhendées avec précaution car elles présentent certaines limites qu’il est nécessaire d’identifier.

Les outils de traitement de données permettent d’accéder à une visualisation des attitudes et interactions à l’échelle de l’individu, « ne ciblant personne à priori mais s’appliquant à tout le monde par défaut » (Rouvroy et Berns, 2010). Ainsi, ils promettent de saisir la réalité sociale comme telle, sans rapport à la moyenne ou à une quelconque normativité, offrant l’illusion d’une représentation au plus proche du réel et par conséquent, davantage démocratique (Rouvroy et Berns, 2013). Cette perception de saisie exacte du monde social pose un certain nombre de questionnements épistémologiques dont nous nous limiterons ici à évoquer quelques éléments centraux.

L’un des dangers du big data réside dans le présupposé implicite qu’un nombre important de données serait garant d’une représentation rigoureuse du monde. Boyd et Crawford (2012) évoquent la croyance commune selon laquelle de larges corpus de données permettraient d’accéder à une forme supérieure de connaissance, à la fois pertinente, objective et capable de rendre compte de phénomènes jusque-là invisibles.

Par ailleurs, le traitement des grands nombres tend à faire oublier leur contexte de production et leur histoire. Comme le relève Barnes (2013), la plupart des données génèrent du « bruit », mais présentant des résultats mathématiques, elles risquent d’être directement appréhendées comme connaissance. Par conséquent, tout ce qui n’est pas directement perceptible sous forme chiffrée et qui relève du contexte se retrouve hors du champ d’observation.

La facilitation du processus de collecte de données va également de pair avec un changement de démarche scientifique. Le processus de production d’informations qui nécessitait la mise en place de dispositifs importants est facilité – voire supprimé – et les données sont rendues accessibles à des acteurs issus de disciplines hors du champ des sciences sociales (Boyd et Crawford, 2012). Ainsi, de nouvelles formes d’analyse se sont saisies du monde social en soumettant directement ses traces aux outils informatiques, sans émettre d’hypothèses a priori. Les objets de recherche ne sont plus préalablement circonscrits, ils émanent d’une rationalité statistique qui se borne à établir des corrélations entre des données recueillies sans sélection ni contextualisation (Rouvroy et Barnes, 2010).

Le big data ouvre ainsi la voie aux sciences sociales computationnelles et à l’élaboration de modèles prédictifs basés sur la collecte de données quantitatives (Graham et Shelton, 2013), brouillant les frontières entre approches inductive et déductive (Kitchin, 2014a). En 2008, Chris Anderson, ancien rédacteur en chef du magazine Wired, avait même prédit la fin de la théorie, la richesse des données suffisant, selon lui, à expliquer tout phénomène.[1]

Toutefois, cette démarche est particulièrement délicate pour les raisons citées plus haut, mais également car le risque d’établir des corrélations fallacieuses s’accroit à mesure que le nombre de données disponibles augmente (Taleb, 2012), comme l’a montré l’échec de l’expérience Google Flu Trends (Lazer et al., 2014). Se limitant à l’observation de relations, ce type d’analyse ne permet pas de déterminer les causes ainsi que les processus et conditions d’émergence d’un phénomène social (Graham et Shelton, 2013).

Il semble donc nécessaire de rappeler l’importance d’une distinction entre données et connaissance. Barnes (2013) pose le questionnement suivant : si les données véhiculent de l’information, génèrent-elles pour autant une forme de connaissance utile ? La question est vaste, nous tenterons donc de la circonscrire au type de données qui nous intéressent dans ce travail, soit les données liées à l’environnement urbain. 

Un outil d’analyse urbaine ?

Les villes, espaces où les interactions et les possibilités de captation de données sont nombreuses, ont fait l’objet d’une attention particulière (Rabari et Storper, 2014). Il y a une vingtaine d’années, les premiers discours sur le numérique dans l’espace urbain postulaient que la diffusion et la démocratisation des technologies impliqueraient une diminution des déplacements physiques, progressivement remplacés par les nouveaux outils de communication numérique (Mitchell, 1995). Aujourd’hui, cette hypothèse est invalidée : les flux physiques ont continuellement augmenté et le numérique contribue à ces circulations (Picon, 2009; Boullier, 2016).

Le foisonnement d’activités propre aux villes génère des données dont  la captation est rendue possible par la multiplication, depuis les années 2000, des connexions informatiques qui ont envahi toutes les sphères de notre environnement (Greenfield, 2006). La profusion de traces dans la ville constitue une nouvelle couche informationnelle ou « digital skin » (Rabari et Storper, 2014). Cette strate est composée de données provenant de divers capteurs insérés dans l’espace public et privé, mais également des communications transmises par les technologies mobiles. De nombreuses actions sont saisies par ces dispositifs numériques et créent des traces qui sont spatialement et temporellement situées. Ces données, auparavant insaisissables ou difficiles d’accès, offrent des possibilités nouvelles de « saisir l’espace comme un agencement dynamique de réalités sociales » (Beaude, 2015, p.134). L’espace, généralement appréhendé dans une perspective topographique, soit comme une entité stable et immuable, doit donc être pensé davantage comme un système de relations, tel qu’envisagé par une approche topologique (Beaude & Nova, 2016).

Ces relations sont autant de traces numériques qui sont collectées et potentiellement traitées en temps réel. Les données apparaissent donc comme un moyen d’agir efficacement sur un environnement en modulant les pratiques grâce à un système pouvant réagir et s’adapter dans un temps très bref (Batty, 2013). Elles procèdent d’un monitoring permanent de la ville et de ses citoyens, opérant un passage d’une société disciplinaire à une « société de contrôle » (Deleuze, 1990) dans laquelle les comportements sont captés pour être mieux redirigés. La smart city éveille ainsi l’inquiétude d’une dérive vers une forme de surveillance généralisée portée par une volonté de contrôle et de maîtrise des risques (Batty, 2013).

2. La ville cartographiée

Les traces numériques ont ouvert la voie à de nouvelles formes d’analyses du monde social et avec elles, de nouvelles façons de le représenter. En ce sens, la cartographie est un outil particulièrement important car il permet de visualiser les relations qui créent la ville. Grâce aux données numériques, de nombreuses formes de cartographies ont vu le jour. Expérimentales, artistiques ou scientifiques, ces représentations sont autant de manières de rendre compte de la dimension spatiale des pratiques sociales (Beaude & Nova, 2016).

Les cartes sont également une interprétation de la ville au travers des relations entre diverses entités. Grâce aux données numériques, les nouvelles formes de cartographies ne figurent plus ce qui relève de la stabilité de l’environnement mais elles saisissent ce qui est en train de se produire (Picon, 2009). Elles ne sont plus nécessairement figées et il est possible de superposer plusieurs types d’informations afin de créer des visualisations dynamiques de divers phénomènes dans un espace et un temps donné.

En 2016, le Senseable City Lab du MIT mène une étude qui exploite les traces des téléphones portables afin de mesurer l’exposition de la population new-yorkaise à la pollution (Nyhan et al., 2016). La qualité de l’air est généralement évaluée grâce aux 155 capteurs répartis dans l’espace urbain. Mais pour évaluer l’exposition des individus à la pollution, il est également nécessaire de savoir où ils se trouvent. Jusqu’ici, les études portant sur le lien entre l’état de santé de la population et l’exposition à la pollution se focalisaient sur le lieu de résidence des individus, sans tenir compte de leurs déplacements. En utilisant la géolocalisation des nombreux smartphones de la ville, cette étude a permis de croiser les données des divers déplacements avec les mesures des capteurs fixes.[2] Deux types de cartes ont été créées, la première représente l’exposition à la pollution chez une population statique, ne quittant pas son domicile (Figure 1.), la seconde montre les niveaux d’exposition effectifs, en considérant les dynamiques de mobilité urbaine (Figure 2.). Selon les auteurs de l’étude, ce dispositif d’analyse peut ouvrir la voie à de nouvelles formes de recherches en milieu urbain et servir d’appui à l’élaboration de politiques publiques.[3]

Urban Exposure (MIT Senseable City Lab, 2016)

Les cartes représentent la combinaison entre les niveaux de pollution et le nombre de personnes estimées être présentes dans chaque district selon que l’on prenne en compte leur domicile ou leur localisation effective.


Figure 1. Indice d’exposition selon les zones de domicile 

Figure 2. Indice d’exposition selon les zones de présence effective de la population

Les déplacements individuels permettent donc de rendre compte de la complexité des dynamiques urbaines. Si les avantages de la mise en perspective de ces données semblent à priori évidents, il est nécessaire de rappeler que les cartes doivent être interprétées avec précaution car elles sont le résultat d’une agrégation de données produites dans un contexte précis qui ne témoignent que partiellement de certaines pratiques. Il convient donc de saisir la dimension incomplète de ces traces et d’en délimiter la portée interprétative (Beaude & Nova, 2016). Saisies comme informations neutres, les données numériques risquent de réduire à la dimension territoriale ce qui relève du réticulaire « car toute carte, même lorsqu’elle se résume à la figuration d’un réseau, est toujours assujettie à l’illusion topographique du support qui l’accueille […] » (Beaude & Nova, 2016, p. 78).

La politique de la ville s’appuie toujours davantage sur les cartes et les récits qu’elle participe à construire (Picon, 2013). Cependant, si ces visualisations, comme les données dont elles sont issues, ne sont des représentations que partielles de certaines pratiques, dans quelle mesure peuvent-elles être mises au service du bien public ? C’est l’un des éléments que nous allons tenter d’éclaircir grâce à l’exemple développé dans le chapitre suivant.

3. Uber Movement, quelles données pour la ville ?

L’une des caractéristiques des grandes villes contemporaines est l’augmentation constante de la demande en mobilité, entraînant un engorgement quasi permanent du trafic. Dans ce contexte, les dispositifs numériques sont perçus comme une solution à un problème chronique et alimentent les espoirs de régulations des flux (Boullier, 2016).

Un nouvel outil développé par la société Uber s’inscrit précisément dans cette problématique. En janvier 2017, l’entreprise décide de mettre à disposition de quelques villes une partie de ses données dans le cadre d’un programme nommé Uber Movement.[4] Les smartphones des chauffeurs permettent de collecter des données de localisation qui sont ensuite anonymisées, agrégées et rendues accessibles pour les chercheurs et les pouvoirs publics intéressés. Les informations recueillies sur des milliers de trajets offrent des indications quant au temps de parcours moyen entre deux zones pour une période choisie. Grâce à cet outil, Uber a montré, par exemple, comment la fermeture du métro de Washington D.C en mars 2016 avait congestionné le trafic au centre ville.[5]

Si Google Maps permet déjà d’estimer la durée d’un parcours en temps réel, Uber Movement semble à priori davantage utile pour la planification des villes car il permet l’élaboration de projections. Selon Uber, cette approche serait également particulièrement efficace pour obtenir des données sur des endroits difficilement mesurables, tels que des rues étroites ou peu accessibles au trafic.[6] Il s’agirait d’une alternative aux capteurs fixes, qui ne peuvent être installés dans toute la ville et fournissent une quantité d’informations plus réduite.

Figure 3. Uber Movement, Paris


Calcul d’un temps de trajet moyen entre la Madeleine et la Place de la Bastille, pour la période du 4 au 9 septembre 2016. Source :  movement.uber.com

S’il semble en effet intéressant pour les villes de disposer d’informations qu’elles n’ont pas les moyens d’obtenir via des dispositifs urbains intégrés, il n’est pas certain que les données mises à disposition correspondent aux besoins des acteurs publics. Plutôt que les temps de trajet, ce sont des indications précises concernant les lieux de départ et d’arrivée qui permettraient de mieux saisir les schémas de déplacements et d’envisager une planification efficace.[7] Le manque de pertinence des données fournies a déjà été souligné par Jascha Franklin-Hodge, le porte-parole de la ville de Boston en 2015, lors d’une première tentative de collaboration avec Uber : « the current data sets do not allow for analysis of how proximity to public transit affects Uber usage, or how a new building affects transportation patterns, because the city’s zip codes are too large to arrive at serious takeaways»[8] Selon Franklin-Hodge, les données ont surtout permis de mesurer l’augmentation des déplacements réalisés par Uber mais elles ne sont que peu pertinentes dans une perspective de planification urbaine. Comme le souligne Dominique Boullier (2016), les données liées à la mobilité sont plus souvent utilisées pour représenter un problème et mettre en oeuvre des solutions rapides que pour comprendre et modifier les causes d’un phénomène.

Outre une utilité qui demande à être vérifiée, c’est également la qualité des données qui peut être questionnée. Livrées après avoir été collectées et agrégées, elles sont mises à disposition sans possibilité de contrôle sur le processus de production et de sélection, soulevant les questionnements épistémologiques évoqués plus haut. Le choix du corpus de données est d’autant plus important qu’il comporte des implications directes sur l’environnement dont il rend compte : « These presences and absences in data matter not simply because they are evidence of material inequalities manifesting themselves in digital contexts but also because digital data in turn have real, material effects in the world » (Graham et Shelton, 2013, p. 258).  La carte, résultant du traitement des données, a donc une dimension performative. Elle participe à construire les représentations de la ville et par conséquent, guider certains choix politiques.

Dans ce processus de construction, Uber n’est pas un acteur neutre et ses nombreuses confrontations avec les pouvoirs publics mettent en doute la fiabilité d’une collaboration.[9]  Cependant, les données restent un bien convoité par les villes et confèrent donc à Uber un levier de pouvoir important.

Intérêts privés et bien public

Dans cette période de relative tension, l’ouverture de ces données apparaît comme une tentative implicite de négociation entre l’entreprise et les acteurs publics. Les données sont transmises à priori sans contrepartie mais elles participent à rétablir un climat propice à une réduction des régulations imposées à Uber.

Le recours à des données fournies par des entreprises privées pour la gestion du bien public ne va pourtant pas sans certaines interrogations. Les buts poursuivis par les deux entités sont différents et la fiabilité des données mérite d’être examinée.

Les nouveaux outils d’analyse de données soulèvent donc également des questions d’ordre politique. En cherchant des solutions techniques à des problèmes publics, le risque est de transférer une partie du pouvoir de gouvernance à des entreprises privées qui possèdent les données. En France, un récent rapport de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pointe les problèmes que posent les collaborations entre service public et plateformes numériques :

« Alors que les acteurs publics ont la capacité à négocier avec des acteurs privés par le biais de la délégation de service public, par des partenariats publics-privés ou par la régulation de certains marchés, les industriels de la donnée parviennent à s’infiltrer par des services plus ou moins gratuits, qu’ils avancent comme des offres clés en main gagnant-gagnant aux collectivités. » (CNIL, 2017, p.17)

Le concept quelque peu utopique de smart city masque la nécessité d’un recours à une vision corporate de l’intelligence couplée à une forme de gouvernance entrepreneuriale (Hollands, 2015). Il n’est donc pas surprenant que de grands groupes tels que IBM, Microsoft ou Google défendent ce modèle de gestion urbaine qui permet à des sociétés privées, dont l’activité implique la collecte massive de données, de faire valoir ces « biens » auprès des pouvoirs publics. Les entreprises tentent de promouvoir leur technologie et services auprès des villes, tout en défendant une économie davantage dérégulée et privatisée (Kitchin, 2014b). Vanolo (2014) souligne le danger d’un discours centré sur des solutions techniques, qui risquerait de distancier les pouvoirs publics des questions politiques, tout en élargissant le champ d’action des acteurs privés.

Conclusion

Les différents apports théoriques et pratiques ont permis de mettre en lumière certains enjeux que posent la production et l’utilisation des données numériques pour la gouvernance urbaine. Si l’analyse des données est perçue par les pouvoirs publics, comme un précieux outil de planification et gestion, elle constitue pour les entreprises l’opportunité de se présenter comme des acteurs clés de cette nouvelle gouvernance (Kitchin, 2013). Pour le citoyen, l’analyse des données offre un nouvel éclairage de la ville lui permettant d’orienter ses choix grâce à une multitude d’informations auparavant inaccessibles (Batty, 2013). Cependant, bien que les données proposent de saisir sous une nouvelle forme les dynamiques sociales agissant dans le temps et l’espace, leur analyse ne peut se passer de certains questionnements d’ordre épistémologique, politique et éthique dont nous n’avons pu aborder que quelques aspects. L’approche scientifique du big data, notamment dans les sciences humaines, est encore relativement récente, et aucune théorie globale sur le sujet n’existe à ce jour (Batty, 2013). La technique ne peut, à elle seule, résoudre les questionnements épistémologiques (Floridi, 2012). Les données exigent donc effort de contextualisation et de réflexion car leur interprétation renseigne sur la ville tout autant qu’elle la façonne, dans une dynamique « articulant les modes de production du savoir aux modes d’exercice du pouvoir » (Rouvroy et Berns, 2010, p.103).

Bibliographie

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Notes

[1] https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/, consulté le 28 décembre 2017.

[2] Comme pour de précédentes études menées par le Senseable City Lab, une partie des données a été fournie par la société Ericsson.

[3]  http://news.mit.edu/2016/mobile-data-measuring-exposure-pollution-0902, consulté le 28 décembre 2017.

[4] A fin 2017, ce service est disponible pour 7 grandes villes (Paris, Johannesburg, Boston, Bogota, Manille, Sydney, Washington D.C.) et devrait s’étendre à d’autres zones urbaines en 2018.

[5] https://movement.uber.com/use-case/dc?lang=en-US, consulté le 2 janvier 2018.

[6] Uber Movement: Travel Times Calculation Methodology, disponible sur https://movement.uber.com/faqs, consulté le 27 décembre 2017.

[7] https://www.wired.com/2017/01/uber-movement-traffic-data-tool/, consulté le 27 décembre 2017.

[8] https://www.boston.com/news/business/2016/06/16/bostons-uber-partnership-has-not-lived-up-to-promise, consulté le 30 décembre 2017

[9] http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/11/22/2017-l-annus-horribilis-d-uber-en-5-episodes_5218562_3234.html, consulté le 31 décembre 2017.

[10] https://www.nytimes.com/2017/03/03/technology/uber-greyball-program-evade-authorities.html, consulté le 30 décembre 2017.

Virginia Haussauer