WhatsApp peut-il influencer le résultat aux urnes ?

Dessin de presse fait par un artiste portugais après la victoire de Bolsonaro en 2018.1

Lors des deux dernières décennies, nous avons assisté à un vrai bouleversement lié au changement de nos pratiques sociales et quotidiennes qui ont eu (et ont toujours) lieu à cause de l’accès de plus en plus étendu à Internet. La façon dont nous achetons, dont nous étudions, faisons de rencontres, nous communiquons, nous informons, etc., a été altérée avec l’arrivée de dispositifs numériques et mobiles. En effet, « la convergence entre l’informatique et la télécommunication s’est ainsi traduite par un profond changement des modalités pratiques de l’interaction sociale » (Beaude, 2017 : 85). Actuellement, WhatsApp – un service de messagerie instantanée racheté par le géant Facebook en 20142 – compte plus de 1,5 billion d’utilisateurs autour du monde qui échangent plus de 65 millions de messages quotidiennement3. Ce que nous avons observé dans les dernières années est une utilisation de plus en plus diversifiée de cette application, qui non seulement est employée pour partager des messages privés, mais aussi de l’information. Au Brésil, par exemple, 53% des personnes ayant participé à l’étude de Newman et al. (2019 : 17) utilisent WhatsApp comme premier moyen pour s’informer, tandis qu’en Angleterre, par exemple, cette proportion tombe à 9%, et à 4% aux États Unis (Newman et al., 2019 : 18).

Il n’est donc pas étonnant que certains acteurs aient voulu en profiter d’une telle popularité de WhatsApp. Un scandale a ainsi éclaté au Brésil lors des dernières élections présidentielles en octobre 2018 : le candidat victorieux d’extrême droite, Jair Messias Bolsonaro, ainsi que les entreprises qui finançaient sa candidature, ont été accusés de financer et d’organiser l’envoi massif de faux messages à caractère diffamatoire sur son adversaire, le candidat de gauche Fernando Haddad, dans des groupes WhatsApp. Cet événement, nouveau mais pas si singulier (d’autres cas ont été recensés récemment en Inde, au Zimbabue et au Mexique), soulève naturellement quelques questions qui s’avèrent pertinentes. À titre d’exemple, nous pourrions nous demander pourquoi WhatsApp a été l’outil choisi, parmi tous les autres dispositifs numériques, pour effectuer la campagne diffamatoire ? Est-ce que ces messages, ainsi que les fake news, ont eu un vrai impact dans le choix des électeurs ? Ou encore, quelle est la meilleure façon d’étudier ces phénomènes-là et quels concepts y sont mobilisés ?

S’il fallait une ultime preuve que la désinformation et la propagande politique peuvent être diffusées à travers l’application WhatsApp, les élections présidentielles brésiliennes en ont offert un exemple inquiétant.

Michaël Szadkowski, 2018

Ainsi, l’objectif de cette brève étude est à la fois de comprendre comment Internet, et plus précisément le service de messagerie instantanée WhatsApp, change la manière dont nous communiquons, dont nous nous informons et dont nous diffusons l’information, et à la fois d’explorer les implications de ce changement dans la construction du savoir autour de ces nouvelles pratiques. Afin de clarifier ce sujet et pour mieux saisir sa portée, les faits survenus lors des dernières élections présidentielles au Brésil seront utilisés comme étude de cas, tenant en compte leur caractère intimement lié à Whatsapp et aux possibilités qu’il en offre. Pour ce faire, j’explorerai, dans un premier temps, le fonctionnement général de WhatsApp, en me concentrant surtout sur les attributs qui lui rendent propice aux pratiques telles que celles observées lors de l’élection de Bolsonaro, c’est-à-dire, la diffusion très rapide de messages, souvent contenant de fake news, à un très grand nombre de personnes. Ensuite, des questions de fond méthodologique seront abordées. Je me concentrerai d’abord sur les méthodes utilisées pour traiter les données qui ont été obtenues dans des groupes publics, et ensuite sur la question des données encryptées, qui amènent le problème de leur obtention. À partir des questions méthodologiques, en découlent naturellement les enjeux épistémologiques qui seront traités dans la troisième partie.

Service de messagerie ou réseau social ?

WhatsApp est un dispositif numérique qui permet aux utilisateurs d’envoyer des messages (sous forme écrite ou sous forme d’audio, avec la possibilité d’y attacher un ou plusieurs liens, images ou vidéos) à partir d’un téléphone mobile (et, plus récemment, également à partir d’un ordinateur) à ceux de leur liste de contacts qui en ont aussi un compte WhatsApp. Situé à cheval entre un « simples » service de messagerie instantanée et un réseau social (selon la définition de boyd et Ellison, 2007 : 211), WhatsApp a créé un environnement unique pour l’échange et le partage d’informations grâce à la possibilité d’envoyer un même contenu à plusieurs personnes, en même temps et sur le même lieu. Les groupes WhatsApp (publics ou privés) peuvent ainsi comporter jusqu’à 256 participants, et 76% des utilisateurs en participent à au moins un groupe (Newman et al., 2019 : 38). Ces participants ont accès à tous les messages envoyés dans le groupe, ainsi que le droit à répliquer ou commenter n’importe lequel de ces messages. À la différence de Facebook, qui nous permet également de commenter les messages de nos contacts, les messages sur WhatsApp sont encryptés de bout à bout, ce qu’indique déjà le premier problème majeur dans l’étude d’un tel dispositif et qui sera traité dans la deuxième section : l’accès aux données générées dans les discussions privées restent inaccessibles.

WhatsApp étant né grâce à la popularisation d’Internet, il n’est pas étonnant qu’il partage certaines caractéristiques qui sont, si non universelles, très courantes parmi les dispositifs numériques connectés. Il s’agit notamment de l’affaiblissement de l’impératif de la distance : « La capacité d’Internet à créer du contact réticulaire en dépit de la distance territoriale offre aussi une opportunité considérable d’organisation, de production et de coordination » (Beaude, 2012 : 11). La question de l’espace est dès lors centrale pour la compréhension de divers phénomènes numériques, puisqu’Internet « n’est pas qu’une médiation, mais un espace réel » (Op. Cit., p.8) ayant une réelle – et immense – influence sur le monde matériel (par opposition au monde virtuel d’Internet). D’ailleurs, il faut d’abord comprendre (et accepter) que l’espace n’est pas situé ni absolu, mais il est relationnel, c’est-à-dire, l’espace n’est pas une chose, « mais l’ordonnance de choses » (Op. Cit., p.16) et qu’il se construit à partir des interactions qui ont lieu. Dans ces termes-là, Internet est un espace réel et occupé comme n’importe quel autre espace où les gens interagissent et agissent. Sa singularité vient du fait qu’il annihile les distances territoriales et qu’il offre la possibilité à des gens qui habitent dans des endroits ou même pays différents de rester en contact et de communiquer quotidiennement, de façon synchrone ou asynchrone. Cela nous amène à la deuxième singularité d’Internet : sa permanence (Op. Cit., p.55). Contrairement aux moyens de transmission traditionnels, comme la radio, le téléphone ou la télévision, l’information générée et/ou partagée sur Internet est une constante, elle reste dans son support, elle ne s’efface que si cela est programmé.

La scène montrée ci-dessus est désormais de plus en plus courante et est représentative d’un certain paradoxe : des amis qui sont physiquement ensemble mais qui sont en train d’interagir avec d’autres personnes sur Internet.4

WhatsApp au service de la désinformation

WhatsApp réunissant des caractéristiques si singulières, l’utilisation que les personnes y font a évolué ces dernières années, surtout au Brésil et dans d’autres pays en développement, comme le montre le rapport de Nic Newman et de ses collègues du Reuters Institute for the Study of Journalism. Plus de la moitié de personnes qui utilisent WhatsApp au Brésil compte sur cette application pour rester bien informée. Or, les informations sont forcément envoyées ou transmises par un contact. Souvent, la transmission se fait au sein d’un groupe et, « avec les réseaux sociaux numériques, les deux circuits s’entremêlent. L’espace de diffusion de l’information et le système conversationnel de sa réception sont désormais intimement liés » (Cardon, 2019 : 166). Ce nouvel agencement, ainsi que la question du contact réticulaire par opposition au contact territorial, est fondamentale pour comprendre comment et pourquoi les fake news ont trouvé un terrain si fertile dans les groupes WhatsApp.

Or, avec les réseaux sociaux numériques, les deux circuits s’entremêlent. L’espace de diffusion de l’information et le système conversationnel de sa réception sont désormais intimement liés. Facebook, Instagram et  WhatsApp aspirent  une  partie  de  la  sociabilité conversationnelle, qui a toujours existé mais qui s’évaporait dans les cafés, les salles de classe, les cantines, les lieux de fête ou de travail.

Dominique Cardon, 2019 : 166

Daniel Miller et ses collègues (2016 : 21) suggèrent alors que les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Instagram) ont, d’un côté, réactivé l’importance des groupes familiaux et, de l’autre côté, répudié les réseaux fondés sur un seul individu. L’impact de ce changement est l’établissement de communautés, nouvelles ou traditionnelles (dans le sens qu’elles ont toujours existé, comme une famille), qui interagissent sur Internet. Or, a priori, une personne fait confiance d’abord à ceux qui lui sont chers, comme les membres de sa famille ou des amis. Le piège se trouve justement sur le fait que, sur Internet et surtout sur les réseaux sociaux, toutes et tous sont devenus de potentielles sources ou de potentiels diffuseurs d’informations. Les informations étant plus nombreuses que jamais, faire le tri et vérifier toutes les nouvelles reçues avant de les repasser est devenu un travail homérique : « In the digital age, it is easier than ever to publish false information, which is quickly shared and taken to be true. (…) In the news feed on your phone, all stories look the same – whether they come from a credible source or not » (Viner, 2016). Par conséquent, ce que nous observons aujourd’hui est une vraie explosion de fake news dans les media, au point où le dictionnaire Collins l’a élu mot de l’année 20175.

Par ailleurs, les fake news ne sont pas le résultat des changements apportés par Internet, puisque les rumeurs et les fausses nouvelles ont toujours existé. Néanmoins, avec Internet, leur vitesse de dissémination et leur portée sont plus grandes que jamais. Il suffit de faire les calculs : si tous les membres d’un groupe WhatsApp repassent une nouvelle reçue (que ce soit un texte, une image, une vidéo ou un audio) à un autre contact ou à un autre groupe, dans quelques minutes potentiellement des milliers de personnes auront reçu la nouvelle, qu’elle soit vraie ou non. De plus de l’intensité de propagation des informations sur WhatsApp et sur Internet en général, il est important de souligner qu’une figure centrale et souvent méconnue dans la régulation de l’information est en train de perdre son terrain : il s’agit des gatekeepers, dont le « rôle est de séparer les propos qui doivent être publiés de ceux qui ne doivent pas l’être. Ils sont les gardiens de la frontière entre le privé et le public. À eux la responsabilité d’établir la hiérarchie de l’information » (Cardon, 2019 : 145).

Cardon, 2019 : 143.
« Pour distinguer quatre formes de prise de parole en public, ce schéma oppose, sur l’axe horizontal, deux types de locuteurs : d’une part, les professionnels (journalistes, éditeurs), d’autre part, les amateurs ; et, sur l’axe vertical, deux types de sujet de discours : d’une part, les personnalités, d’autre part, les quidams. On discerne ainsi les professionnels qui parlent de personnalités, les professionnels qui parlent de quidams, les amateurs qui parlent de personnalités et les amateurs qui parlent de quidams. » (Cardon, 2019 : 143)

Les gatekeepers ne sont donc plus les seuls responsables pour filtrer et transmettre les informations au public. Avec Internet, n’importe qui, professionnel ou amateur, peut prendre la parole en public pour parler de (presque) tout et (presque) tous, grâce aux nouveaux moyens techniques mis à disposition. Un premier impact probable de la diminution des gatekeepers et des groupes médiatiques traditionnellement établis est la diminution du nombre de personnes qui ne font pas confiance aux médias : en 2019, 42% des gens faisaient confiance aux medias, contre 44% en 2018 (Newman et al., 2019 : 21). Le deuxième est, effectivement, l’augmentation des fake news : Vosoughi et al. (2018) dans leur étude sur Twitter, ont constaté que la dynamique de diffusion de fausses et vraies nouvelles est différente, et que les fausses nouvelles se diffusent plus rapidement, plus intensément et ont une portée plus grande que les vraies nouvelles (Vocoughi et al., 2018 : 1147), surtout quand il s’agit de fake news en lien avec la politique.

WhatsApp s’est avéré être ainsi l’option optimale pour la diffusion de fake news pendant la période électorale au Brésil : dans un pays de 210 millions de personnes, plus de 120 millions l’utilisent WhatsApp6 et plus de la moitié l’utilise pour s’informer. Au Brésil, les familles sont généralement nombreuses et élargies, bien comme les groupes d’amis, rendant les groupes WhatsApp locaux plus grands que la moyenne mondiale – 6 personnes par groupe (Newman et al., 2019), ce qui a un impact dans la portée de l’information repassée (qu’elle soit fausse ou non). De plus, plusieurs opérateurs de télécommunications brésiliens ont de plans où WhatsApp, Facebook, Twitter et Instagram sont gratuits, tandis que l’usage de l’Internet hors du groupe dominé par Mark Zuckerberg est payante (Córdova, 2018). Si nous ajoutons à ce dernier élément le manque d’une éducation de qualité, le manque de valorisation des professeurs et des scientifiques, et le manque de ressources culturels, il n’est pas étonnant que les fake news aient trouvé un terrain fertile de propagation sur WhatsApp (Op. Cit.).

Quelles méthodologies appliquer ?

Nous avons vu jusqu’à présent les concepts pertinents et nécessaires pour essayer de comprendre la place de WhatsApp dans notre société, principalement en ce qui concerne sa relation avec la diffusion d’informations. Maintenant, il s’avère nécessaire de se questionner sur les méthodes qui peuvent être employées par le chercheur, et principalement par le sociologue – puisque nous traitons finalement de pratiques et faits qui sont, par-dessus de tout, sociales – pour mieux rendre compte des nouvelles pratiques numériques.

Durant l’année de 2019, plusieurs chercheurs brésiliens (des expatriés, pour la plupart) ont rédigé des études en lien avec le scandale de diffusion de fake news pendant la campagne présidentielle de Bolsonaro. Caio Machado et al., dans leur article A Study of Misinformation in WhatsApp groups with a focus on the Brazilian Presidential Elections (2019), ont effectué des recherches surtout qualitatives, qui incluent le type de source d’information partagée sur WhatsApp, le type de contenu qui est véhiculé et le pourcentage de messages qui présentaient un contenu politiquement polarisé (Machado et al., 2019 : 1013). En suivant la même ligne méthodologique, Gustavo Resende et al. (2019) se sont intéressés au contenu des messages partagées dans des groupes publics et politiques. Ces deux études ont ainsi obtenu une certaine quantité de données en employant de traitements automatiques de données, ainsi que du travail manuel. Néanmoins, ils n’ont obtenu que de données originales de groupes publics. Or, la plupart de groupes WhatsApp sont privés, et une bonne partie de nos interactions sur cette plateforme se déroule dans ces groupes auxquels seulement ceux qui sont invités peuvent avoir accès. Nous pourrions classifier ces études comme appartenant au courant de Virtual Methods, c’est-à-dire, elles appliquent surtout « de méthodes traditionnelles à des terrains de recherche en ligne » (Plantin et Monnoyen-Smith, 2013 : 56).

Des méthodes alternatives

Contrairement aux autres réseaux sociaux tels que Twitter ou Facebook, avec lesquels « le déploiement des dispositifs numériques de médiation autorise une traçabilité sans précédent » (Beaude, 2017 : 89), WhatsApp nous informe toujours que « les messages envoyés dans ce groupe/cette discussion sont désormais protégés avec le chiffrement de bout à bout ». Comment avoir alors accès aux données partagées dans les groupes privés si les messages sont chiffrés ?

L’étude de Josemar Caetano et al., Characterizing Attention Cascades in WhatsApp Groups (2019), sur la diffusion d’informations sur WhatsApp, est très intéressante puisque les auteurs ne se concentrent pas sur le contenu du message ou la source de l’information, mais sur deux composantes trouvées dans le fonctionnement de WhatsApp : attention et cascade. Le terme « cascade » concerne l’action de sélectionner un message reçu et d’utiliser la fonction « reply », ou répondre/commenter, de façon à que le message original reste visible dans la réponse ou commentaire. Le terme « attention » fait simplement référence à l’action de créer un message auquel les autres membres du groupe vont répondre. Caetano et ses collègues ont ensuite évalué combien de fois le message original a été transmis ou répondu, leur but étant de comparer les cascades d’attention sur les groupes politiques et apolitiques, et de voir quel serait l’impact des fausses informations sur ces cascades.

Une dernière étude très pertinente dans cette discussion est celle de Rosenfeld et al. (2018), où ils se sont concentrés non pas sur le contenu des messages, mais sur les métadonnées tels que la longueur du message, la longueur de la conversation dans laquelle le message a été envoyé, et des propriétés temporelles comme le temps entre chaque réponse. Ils ont utilisé les données de seulement 111 étudiants, âgés 18-34 ans, ce qui limite énormément l’échantillon et qui nous fait poser la question de la représentativité. Toutefois, leurs résultats sont assez promettants : ils ont réussi à quantifier et à prédire avec une certaine exactitude l’âge et le genre de l’émetteur du message. Les deux dernières études présentées ici se calquent sur les Digital Methods lorsqu’elles créent une « méthodologie sur mesure » (Op. Cit., p.57) pour étudier WhatsApp, et cela s’avère très innovant.

Lorsque nos pratiques se diversifient, les concepts et méthodes pour les comprendre doivent aussi se diversifier. Le concept de fake news en est un bon exemple : « Although, at one time, it may have been appropriate to think of fake news as referring to the veracity of a news story, we now believe that this phrase has been irredeemably polarized in our current political and media climate » (Vosoughi, 2018 : 1146). Considérer comme fake news que les fausses nouvelles n’a pas de sens ; il faut insérer fake news dans le contexte actuel, avec les enjeux de ce temps, pour comprendre la vraie signification du mot.

Les enjeux épistémologiques

Technology and media do not exist in isolation – they help shape society, just as they are shaped by it in turn.

Katherine Viner, 2016

Pour comprendre notre société actuelle, il faut impérativement prendre en compte l’existence et l’influence d’Internet sur tous les aspects de nos vies. Chaque domaine doit ainsi être réévalué et compris d’une façon à prendre en compte le lieu qu’occupe Internet, et plus récemment les réseaux sociaux, dans notre monde social : « Rather than being seen as a virtual ‘other’ world, social media stands accused of being embedded in the most mundane toenail painting and lunch-eating aspects of everyday world » (Miller et al., 2016 : 11). Ainsi, pour comprendre la politique actuelle, il faut faire un detour par Internet et ses dispositifs, et observer quelles pratiques politiques et sociales ont été modifiées par Internet, mais aussi quelles pratiques numériques ont été redéfinies selon les pratiques sociales locales. La dispersion de fake news sur WhatsApp est devenue un vrai problème au Brésil, tandis qu’en Angleterre, par exemple, la situation aurait été complètement différente vis-à-vis de la faible utilisation de WhatsApp afin de s’informer.

Une dernière question qui subsiste est : si les données sur WhatsApp sont chiffrées, alors ni les chercheurs, ni les acteurs majeurs d’Internet (GAFA) sont capables de cibler des éventuels électeurs, car leurs algorithmes n’auront pas des données à traiter. Alors, comment est-ce que les utilisateurs de WhatsApp ont été ciblés par les fake news ? Ironiquement, de façon aléatoire et quasi-analogique. « Or, les entreprises spécialisées citées par le Folha de S. Paulo proposaient également des forfaits d’envois de messages à des listes d’utilisateurs WhatsApp qu’elles fournissaient elles-mêmes, et dont l’origine reste incertaine. Le quotidien évoque des listes de numéros obtenues  »illégalement à travers des compagnies téléphoniques, ou de recouvrement de dettes » » (Szadkowski, 2018).

Conclusion

Les nouvelles pratiques apportées d’abord par Internet, et ensuite par les réseaux sociaux, sont déjà tellement ancrées dans notre quotidien, qu’elles semblent banales, mondaines. Pourtant, comme nous l’avons pu voir, ces pratiques imposent une restructuration profonde des relations sociales, de notre relation avec l’information et de la circulation des informations. Dans l’étude de cas proposée dans cet article, il reste difficile de savoir jusqu’à quel point les fake news ont eu un impact dans le choix de vote des électeurs et, s’il y a eu, quelle est la portée de cet impact dans le résultat final. D’après Dominique Cardon, « les fake news suscitent une grande inquiétude. Beaucoup craignent qu’elles ne soient responsables des mauvais choix des électeurs, en se fondant sur l’hypothèse, nullement prouvée, qu’elles ont un effet fort sur ceux qui y sont exposés » (2019 : 265-66). Pendant que nous n’avons pas de réponse à cette question, WhatsApp a mis en ligne un FAQ7 (frequently asked questions) afin d’aider l’utilisateur à repérer des fake news pour ne pas les diffuser.


Bibliographie

Beaude, Boris. 2012. Internet. Changer l’espace, changer la société. FYP : Limoges. 

Beaude, Boris. 2015. « Spatialités algorithmiques », in M. Severo et A. Romele (dir.), Traces numériques et territoires. Presses des Mines : Paris, pp. 133-160.

Beaude, Boris. 2017. « (ré)Médiations numériques et perturbation des sciences sociales ». Sociologie et sociétés 49.2, pp. 83–111.

boyd, danah et Nicole B. Ellison. 2007. « Social Network Sites: Definition, History, and Scholarship ». Journal of Computer-Mediated Communication 13.1, pp. 210–230.

Caetano, Josemar et al. 2019. « Characterizing Attention Cascades in WhatsApp Groups ». 11th ACM Conference on Web Science. Association for Computing Machinery : New York. https://arxiv.org/abs/1905.00825v2

Cardon, Dominique. 2019. Culture numérique. Presses de Sciences Po : Paris. 

Machado, Caio et al. 2019. « A Study of Misinformation in WhatsApp groups with a focus on the Brazilian Presidential Elections », in Companion Proceedings of The 2019 in World Wide Web Conference. Association for Computing Machinery : New York, pp. 1013-1019. https://dl.acm.org/doi/pdf/10.1145/3308560.3316738?download=true

Miller, Daniel et al. 2016. « Academic Studies of Social Media », in How the World Changed Social Media vol. 1. UCL Press : London, pp. 9-24. www.jstor.org/stable/j.ctt1g69z35.9

Newman, Nic et al. 2019. Reuters Institute Digital News Report 2019. Reuters Institute for the Study of Journalism.

Platin, Jean-Christophe et Laurence Monnoyer-Smith. 2013. « Ouvrir la boîte à outils de la recherche numérique ». tic&société 7.2, pp. 38-66. https://journals.openedition.org/ticetsociete/1527#tocto1n2

Resende, Gustavo et al. 2019. « (Mis)Information Dissemination in WhatsApp : Gathering, Analyzing and Countermeasures », in Proceedings of the 28th Web Conference. https://dl.acm.org/doi/10.1145/3308558.3313688

Rosenfeld, Avi et al. 2018. « WhatsApp Usage Patterns and Prediction of Demographic Characteristics without Access to Message Content ». Demographic Research 39, pp. 647-670. https://www.demographic-research.org/Volumes/Vol39/22/

Vosoughi, Soroush et al. 2018. « The spread of true and false news online ». Science 359, pp. 1146-1151. https://science.sciencemag.org/content/359/6380/1146.full

Articles de presse

Córdova, Yasodara. 2018. « Como os planos de WhatsApp e Facebook grátis contribuem para a epidemia de fake news ». The Intercept_Brasil, 10.08.1028. https://theintercept.com/2018/08/10/whatsapp-facebook-gratis-fake-news/

Szadkowski, Michaël. 2018. « « Infox » au Brésil : comment les fausses informations ont inondé WhatsApp ». Le Temps, 25.10.2018. https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/25/infox-au-bresil-comment-les-fausses-informations-ont-inonde-whatsapp_5374637_4408996.html

Viner, Katherine. 2016. « How technologie disrupted the truth ». The Guardian, 12.06.2016. https://www.theguardian.com/media/2016/jul/12/how-technology-disrupted-the-truth


Notes

  1. https://www.viomundo.com.br/voce-escreve/o-brasil-da-era-bolsonaro-segundo-chargistas-de-varios-paises.html
  2. https://www.forbes.com/sites/parmyolson/2014/10/06/facebook-closes-19-billion-whatsapp-deal/#44ba95385c66
  3. https://fortunly.com/statistics/whatsapp-statistics#gref
  4. Klaus Vedfelt | Getty Images
  5. https://www.independent.co.uk/news/uk/home-news/fake-news-word-of-the-year-2017-collins-dictionary-donald-trump-kellyanne-conway-antifa-corbynmania-a8032751.html
  6. https://www1.folha.uol.com.br/tec/2018/07/facebook-chega-a-127-milhoes-de-usuarios-mensais-no-brasil.shtml
  7. https://faq.whatsapp.com/fr/android/26000216/?category=5245250

Laura Marques Pippus