Le numérique en médecine: poison insidieux ou remède miracle?

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Une boussole épistémologique

Dire que le numérique est partout, c’est enfoncer une porte ouverte. La banalité de cette ubiquité n’a pourtant d’égale que la difficulté à en rendre compte. Face à la diversité et à la rapidité vertigineuse des développements liés au numérique, notre attitude oscille entre la technophile « révolution 4.0 » et l’apocalyptique « singularité technologique ». Cet enthousiasme anxieux colore également le domaine médical, dont les pratiques et la recherche se voient progressivement transformées par le numérique. Nous nous proposons d’analyser ces développements d’un point de vue épistémologique. Ce faisant, nous espérons fournir un regard analytique et pragmatique permettant de dégager les enjeux – émergeants ou renouvelés – à considérer lors du recours à des dispositifs numériques en médecine.

Nous commencerons par expliciter pourquoi, et comment, les pratiques médicales changent avec le numérique, en explorant notamment les concepts de distance et d’espace. Il s’agira ensuite de discuter des enjeux inhérents à l’exploitation des traces numériques, qui sont les composantes essentielles de tout dispositif et méthode numérique. Nous verrons les formes spécifiques que ces traces prennent en médecine. Constatant que leur traitement systématique fait évoluer la discipline vers une médecine progressivement gouvernée par les données, nous étudierons, dans un dernier temps, ce qu’implique une telle évolution pour la recherche, la pratique clinique, les patients et la population en général.

Renouvellement des espaces, des pratiques et des rôles

Les dispositifs numériques qui se sont déployés depuis les années 1990 ont eu un impact significatif sur un grand nombre de nos pratiques. Le développement d’Internet a en effet produit une remédiation des relations sociales (Beaude, 2018), dans le sens où ces dernières se constituent désormais largement par l’intermédiaire des dispositifs numériques. Les interactions sociales contemporaines se voient ainsi réarrangées dynamiquement, au gré des usages qui sont faits du numérique. Dans ce cadre, le domaine médical n’échappe pas à des changements importants dans ses pratiques et ses spatialités.

Parmi ces évolutions, citons d’abord la télémédecine, dont l’idée est toutefois bien antérieure à l’essor du numérique. Elle remonte à l’Antiquité déjà, période dans laquelle les médecins nouaient entre eux des relations épistolaires et prodiguaient des conseils à distance (Astruc et al., 2020). Derrière la télémédecine se trouve, avant tout, la volonté de gérer la distance dans la communication. Cette gestion s’améliore considérablement au cours du XXème siècle avec le développement de divers médias. Ainsi, dans le champ médical, le téléphone permet par exemple la création de numéros d’appels spéciaux pour les urgences (Astruc et al., 2020 ; Poirot-Mazères, 2019). Dans cette perspective, Internet apparait comme la dernière innovation en date dans une longue histoire de gestion de la distance. Il ne s’agit pas pour autant de minimiser ses effets, qui sont considérables : Internet a décuplé de manière inouïe les capacités de transmission de l’information et les modalités de mise en lien des personnes, rendant alors possibles les conditions d’exercice de la télémédecine contemporaine (Astruc et al., 2020). Celle-ci regroupe aujourd’hui plusieurs actes médicaux, dont la téléconsultation (un médecin donnant une consultation à un patient via une plateforme numérique) et la télésurveillance (un médecin interprétant les informations médicales qui lui sont envoyées électroniquement à partir d’instruments de suivi d’un patient) (Poirot-Mazères, 2019). Ces pratiques constituent ainsi de nouveaux espaces d’interaction. Le recours ici à la notion d’« espace » cherche à rendre compte de la complexité et des potentialités des dispositifs numériques. Il y a en effet une tendance générale à penser que le numérique, parce qu’intangible, ne déploie pas d’effets réels. Ses usages sont alors qualifiés de « virtuels », dans le sens de « quasi » ou « presque », pour dire qu’ils ne sont qu’une pâle imitation de la réalité. Cette vision transparait par exemple dans la crainte que la téléconsultation représente une forme dégradée de la consultation habituelle, ou dans l’idée simpliste que les pratiques médicales peuvent se transposer telles quelles dans les espaces numériques de télémédecine, moyennant la résolution de problèmes techniques (Mathieu-Fritz et Gaglio, 2018). Ces propositions découlent en réalité d’une conception trop étroite de l’espace (Beaude, 2012). En effet, celui-ci est communément associé à une vision topographique qui le réduit à une simple surface sur laquelle des objets sont positionnés. Dans cette perspective, l’espace est absolu, matériel, stable, et Internet n’est rien de plus qu’une infrastructure technique. Pour mieux saisir ce qui se joue avec les dispositifs numériques, il est pourtant essentiel de convoquer une conception dite « chôra » de l’espace (Beaude, 2012). D’un point de vue chôra, un espace est un lieu permettant d’accueillir des entités, elles-mêmes reliées les unes aux autres et agencées de manière à résoudre un problème donné (en l’occurrence, pour soigner par exemple). L’espace devient alors existentiel et relatif, « réticulaire » (Beaude, 2012). Internet, en tant que puissant instrument de mise en relation, doit donc être considéré comme un moyen privilégié de création d’espaces, dont les dispositifs de télémédecine font partie. La valeur de ces derniers doit alors être déterminée non pas par leur faculté à reproduire les pratiques médicales existantes, mais par la façon dont ils permettent de répondre à des problématiques spécifiques. Ainsi, bien que le médecin soit privé de « prises sensorielles » (Mathieu-Fritz et Gaglio, 2019) lors d’une téléconsultation, ce dispositif peut être un moyen efficace d’élargir l’accès aux soins. Récemment, le développement de la 5G vient concrétiser la possibilité de la télé-chirurgie, contribuant à résoudre le problème de la disponibilité des chirurgiens de pointe et du partage des connaissances (Louvet, 2020).

Au-delà de la télémédecine, les dispositifs numériques participent également à la création d’une médecine dite participative : dans une approche de quantified self, les applications de santé mobile font de chaque individu un « consommateur connecté, informé et exigeant de sa propre santé » (OFSP, 2017, p. 4), contribuant ainsi à élargir le cercle des bénéficiaires, mais aussi des acteurs, du système médical. Les médiations numériques étendent et facilitent par ailleurs l’accès à des informations médicales, augmentant par là même l’agentivité des patients, ce qui impacte leur relation avec les médecins (OFSP, 2017 ; Viaris de Lesegno & Benachi, 2016).

Finalement, à un niveau plus organisationnel, les dispositifs numériques sont de plus en plus utilisés dans le but d’améliorer le système de santé, en particulier par la facilitation des échanges de données médicales ou la mise en réseau de professionnels 1 (OFSP, 2017).

L’ensemble de ces pratiques reposent sur un élément fondamental : les traces numériques. Celles-ci constituent à la fois le vestige et la matière première de l’utilisation de tout dispositif numérique.

Traces numériques : l’ouverture des horizons

Tout acte (médical) laisse des traces. La remédiation des relations sociales par Internet engendre une augmentation extrêmement importante de ces traces, qui sont désormais numériques. Cette évolution a engendré un enthousiasme important pour le domaine des big data, caractérisé par l’exploitation de très grands ensembles de données (Ollion & Boelaert, 2015). Dans la sphère médicale, les big data font référence aux « données de santé disponibles en grandes quantités, provenant de sources très diverses » (OFSP, 2017. p. 7).

Ces « données de santé » sont donc aujourd’hui éminemment numériques, que ce soit parce qu’elles ont émergé de l’utilisation d’un dispositif numérique (elles sont alors nativement numériques ; données de santé mobile ou d’objets connectés, par exemple) ou parce qu’elles ont été numérisées (données non numériques au départ, telles que les informations tirées de l’anamnèse ou d’examens médicaux).

Cette distinction pose par ailleurs la question de ce qui est numérisable. En médecine en particulier, le processus de numérisation reste problématique pour ce qui a trait à la corporalité des patients et à la subjectivité de leur vécu. Il est par exemple impossible de quantifier objectivement la douleur, et encore moins de transformer ce ressenti en un signal électronique. Concernant la pratique clinique, la phénoménologie a mis en évidence l’importance d’une approche de la maladie comme expérience vécue à la première personne, plutôt que comme un simple dysfonctionnement biologique (Chin-Yee & Upshur, 2019). Dans cette perspective, il s’avère dangereux de réduire un patient à ses données médicales (qu’elles soient numériques ou non).

Les données de santé possèdent une autre caractéristique remarquable : une forte tendance à la diversification. Elles regroupent en effet les informations qui « d’une quelconque manière, décrivent l’état de santé d’une personne ou sont susceptibles de l’influencer » (OFSP, 2017). Au-delà des données provenant de la pratique ou de la recherche médicales (anamnèse, soins, examens médicaux, informations génétiques, biobanques, etc.), elles englobent désormais des données socio-économiques, environnementales, relatives aux modes de vie, aux habitudes d’achat, aux données de santé mobile ou aux assurances, dans l’idée d’obtenir une vision aussi large que possible de la santé (OFSP, 2017).

Cette évolution transparaît particulièrement dans l’essor de l’épidémiologie numérique et en constitue même un élément caractéristique, puisque celle-ci est définie comme de l’épidémiologie exploitant des données produites en-dehors du système de santé (Salathé, 2018). Cette discipline utilise donc des données qui n’ont pas été spécifiquement conçues à des fins d’analyse épidémiologique, pratique qui évoque le repurposing théorisé en sciences sociales, lorsque celles-ci détournent l’usage initial des traces numériques pour en faire des objets de recherche (Boullier, 2019). L’épidémiologie numérique repurpose notamment les données issues des moteurs de recherche, des réseaux sociaux ou des systèmes de géolocalisation (Park et al., 2018).

Cette approche présente des potentialités puissantes pour la santé publique, comme le montrent les apports récents de l’épidémiologie numérique au suivi de la propagation de l’épidémie de COVID-19 (He et al, 2020). Le repurposing des données présente toutefois des limites empiriques et des enjeux épistémologiques importants. Il s’agit tout d’abord d’évaluer l’accessibilité aux données et aux algorithmes. L’épidémiologie numérique dépend en effet du bon vouloir de toute une série d’acteurs externes au système de santé pour l’accès aux données dont elle a besoin. Cette dépendance s’avère problématique au vu de la tendance croissante des grands acteurs du Web à fermer l’accès à leur plateforme. La dépendance peut par ailleurs relever d’un autre ordre, lorsque ces acteurs privés développent eux-mêmes des outils épidémiologiques – à l’instar de Google Flu Trends – sans consulter les instances de santé publique ni leur permettre un accès aux algorithmes et données sous-jacentes (Salathé, 2018).

Un autre enjeu réside dans la connaissance des conditions de production des traces numériques. Considérant le fait que chaque dispositif numérique engendre des usages spécifiques (pas toujours anticipés par les concepteurs), il faut questionner la possibilité même d’abstraire les traces numériques de leurs lieux de production. Le domaine médical ne peut ainsi pas faire l’économie d’une « réflexion proxilogique » (Baya-Laffite & Benbouzid, 2017) en ce qui concerne le repurposing des données. Il s’agit d’évaluer « le rapport d’adéquation entre l’objet d’étude et les sources des traces numériques » (Baya-Laffite & Benbouzid, 2017, pp. 19-20), pour s’assurer de la représentativité des données et de la robustesse des résultats obtenus. Cette étape s’avère critique dans tout processus d’opérationnalisation impliquant du repurposing. Même s’il y en a une certaine conscience (Chin-Yee & Upshur, 2019 ; Kulkarni et al., 2020 ; OFSP, 2017 ; Salathé, 2018 ; Sotoudeh et al., 2018), ces limites n’ont pas entravé l’exploitation des traces numériques en médecine.

Refaire la science médicale ?

Les nouvelles possibilités offertes par les dispositifs numériques reconfigurent le savoir-faire médical, qui ne se constitue plus uniquement sur la base du tableau clinique mais devient une « médecine axée sur les données » (OFSP, 2017). Celle-ci se caractérise par « 4P » (Ngô, 2020 ; OFSP, 2017) : elle devient personnalisée, préventive, prédictive, et participative2, le tout dans le but de perfectionner le diagnostic et les traitements. Elle est personnalisée3 car elle se fonde sur les caractéristiques génétiques propres au patient et lui propose des traitements sur mesure ; préventive, quand elle cherche à éviter qu’une maladie ne se déclare (en adaptant le mode de vie au profil génétique du patient, par exemple) ; prédictive, enfin, du fait qu’elle amène à identifier les prédispositions à certaines maladies, ou parce qu’elle permet d’anticiper les réactions à des traitements.

Dans une perspective plus conceptuelle, la médecine personnalisée a été critiquée pour son caractère impersonnel, justement, du fait qu’elle tend à considérer la personne comme un « individu biologique fragmentable à l’infini » (Ngô, 2020, p. 315) plutôt que comme un être entier et subjectif. L’idée de personnalisation a en fait pris des sens multiples et parfois contradictoires suivant les époques (Ngô, 2020). En ce qui concerne le numérique, il est intéressant de constater que la médecine personnalisée découle en réalité d’un calcul qui n’a rien de personnel, car entrepris par des algorithmes travaillant sur de grands volumes de données (Cardon, 2015). Outre la prolifération des traces numériques et l’augmentation des capacités de calcul informatique, la médecine axée sur les données se fonde en effet sur une autre évolution majeure : les algorithmes d’intelligence artificielle (Cardon, 2019 ; OFSP, 2017). Le développement d’approches par apprentissage automatique (machine learning) et en particulier des méthodes d’apprentissage profond (deep learning) ont provoqué un fort enthousiasme dans la recherche médicale, faisant émerger nombre d’applications et de bénéfices potentiels. A l’heure actuelle, l’IA a ainsi déjà été implémentée avec une efficacité convaincante4 dans des domaines tels que la radiologie, l’ophtalmologie, la pathologie ou la dermatologie (Becker, 2019 ; Kulkarni et al., 2020). Ces applications relèvent principalement de tâches de perception visuelle et servent divers objectifs, parmi lesquels l’évaluation des risques de contracter une maladie ou des chances de succès d’un traitement, l’amélioration du diagnostic (par le biais de son automatisation partielle), la recherche en pathologie ou l’optimisation des processus de travail (Ahuja, 2019 ; Becker, 2019 ; Kaul et al., 2020).

Ainsi, la prise de décisions médicales est soutenue de manière croissante par des algorithmes d’IA, eux-mêmes entrainés à exécuter leurs tâches à partir des big data. Se peut-il pour autant que l’on finisse par aboutir à une médecine sans médecins ? Cette crainte est particulièrement présente en radiologie, discipline dans laquelle les algorithmes d’IA sont réputés atteindre des niveaux d’exactitude comparables aux spécialistes les plus compétents (Ahuja, 2019 ; Kulkarni et al., 2020). Elle relève toutefois d’une conception confuse de l’IA. Les imaginaires liés à l’IA sont en effet emprunts d’une vision anthropomorphique où elle possède une conscience et s’avère capable de penser à la manière des humains (Cardon, 2015 ; Cardon, 2020). Cette vision est très éloignée de la réalité : les IA développées actuellement sont spécialisées, elles opèrent dans un domaine précis et sont entrainées à l’exécution d’une tâche spécifique. Ce sont essentiellement des « machines statistiques » (Cardon, 2015) et elles sont par là même incapables de s’adapter à des évolutions de contexte5. L’IA doit donc être pensée comme autre chose que de l’intelligence humaine, avec des efficiences spécifiques. Ses performances peuvent effectivement dépasser certaines capacités humaines (pour tout ce qui relève de la vitesse du traitement de l’information, typiquement), sans pour autant que cela implique une simulation de la pensée humaine.

L’augmentation de la délégation des tâches aux machines n’en pose pas moins des enjeux fondamentaux. Les big data, couplées à l’IA, ont en effet impulsé un double mouvement problématique. D’une part, la remise en question de la méthode scientifique (son modèle hypothético-déductif en particulier), dans l’idée que les big data, de par leur immense volume,permettent une perception exhaustive des phénomènes (Beaude, 2018 ; Jensen, 2018). Dans cette perspective6, tout rapport de causalité devient inutile, les modèles s’affranchissent de toute théorie et se basent uniquement sur des corrélations. D’autre part, la résurgence d’une pensée de physique sociale (Beaude, 2018 ; Jensen, 2018), qui postule que l’être humain est largement prédictible, que les relations sociales fonctionnent selon des règles désormais modélisables grâce aux big data, une profusion de données qui permettrait d’analyser le monde social selon une épistémè empruntée à la physique. Ces deux mouvements produisent la conviction que le monde social peut désormais être prédit, à la manière des interactions atomiques dans la matière (Jensen, 2018). Cette assurance, bien que déconstruite par nombre d’analyses (boyd & Crawford, 2012 ; Harford, 2014 ; Cardon, 2019), reste convaincante pour bien des scientifiques7. Elle est pourtant porteuse d’une vision naturaliste, conservatrice et réductrice du monde social : tout être humain possède en effet une intériorité propre, un « volume d’être » (Piette, 2016), une expérience du monde qui sont insaisissables au travers d’une modélisation. Affirmer le contraire, c’est négliger la complexité de l’être humain et nier son agentivité.

Le domaine médical est particulièrement exposé à ces logiques puisqu’il repose de manière fondamentale sur la méthode scientifique. L’enjeu est d’autant plus grand vu la dimension sociale de la discipline, dont le but ultime reste de soigner des humains. Il s’avère ainsi indispensable de réfléchir aux implications potentielles de ces glissements épistémologiques dans le cadre de l’IA telle qu’elle est utilisée en médecine (Chin-Yee & Upshur, 2019), sans quoi la pratique clinique risque de se transformer en une gouvernance algorithmique qui écrase totalement l’individu (Rouvroy & Berns, 2013).

Humains et machines, une osmose délicate

Internet continue d’être un vecteur important de transformation des pratiques, y compris médicales. Ses potentialités pour l’amélioration de la recherche et de la pratique clinique sont considérables ; elles commencent tout juste à se concrétiser. Il ne s’agit alors plus d’être pour ou contre le numérique, mais d’encadrer son développement d’une pensée critique englobant les aspects épistémologiques exposés précédemment. Nous avons vu qu’il est peu productif de penser les espaces réticulaires d’Internet comme des reproductions du monde matériel. Il s’avère plutôt nécessaire de considérer les qualités et efficacités spécifiques de chaque dispositif numérique déployé dans le domaine médical. La pertinence de leur usage dépend par ailleurs en grande partie de celle des traces numériques sur lesquelles repose le dispositif en question, notamment parce que le repurposing des données devient une pratique de plus en plus courante dans la recherche médicale. Un enjeu fondamental réside alors dans l’évaluation du bien-fondé de méthodes exploitant des données extirpées de leur contexte. En effet, contrairement aux discours positivistes des tenants de la physique sociale, les big data ne résolvent ni ce problème, ni la complexité du monde social. Le développement de la recherche en IA ne doit alors pas faire oublier que les traces numériques sont toujours produites dans un contexte précis, par des individus emprunts d’une intériorité insondable.

La « médecine axée sur les données » produite par le déploiement du numérique implique une coexistence croissante avec des machines dont l’intelligence doit être pensée comme non humaine. Cette distinction est fondamentale pour comprendre qu’elles restent des artifices produits par les humains, et qu’on ne peut donc par leur déléguer aveuglément une décision, médicale ou autre.

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  1. Voir par exemple le centre « eHealth Suisse » et le dossier électronique du patient (OFSP, 2017).
  2. Evoquée précédemment.
  3. On parle aussi de médecine « individualisée » ou « de précision » (OFSP, 2017).
  4. Ces applications revêtent toutefois un caractère très expérimental et soulèvent de nombreuses inquiétudes d’ordre empirique, méthodologiques ou éthique (Ahuja, 2019 ; Becker, 2019 ; Chin-Yee & Upshur, 2019 ; Kaul et al., 2020).
  5. Ce fut précisément l’une des failles attribuées à l’algorithme Google Glu Trends, chargé de prédire les épidémies de grippe : le modèle étant très dépendant des données antérieures, il a suffi que le contexte évolue (avec l’apparition de la grippe aviaire, notamment) pour compromettre totalement les prédictions (Lazer, 2014).
  6. Voir par exemple le fameux article de Chris Anderson dans Wired (Anderson, 2008).
  7. Cela s’est notamment traduit par l’émergence des « sciences sociales computationnelles », une discipline qui incarne parfaitement le renouveau actuel de la physique sociale. Voir, à ce titre, l’article fondateur de Lazer et al. paru dans la prestigieuse revue Science en 2009 (Lazer et al., 2009).

Nadege Pio