Les mémoires numériques des intérêts personnels et leurs implications sociologiques

La nature pervasive du numérique implique aujourd’hui de repenser toute démarche sociologique, les activités intimes et collectives étant profondément modifiées par la pénétration du numérique dans toutes les sphères du monde social. Dans le paradigme numérique actuel, la rapide évolution des outils technologiques vient amplifier la nature instable du monde social, ajoutant un nouveau degré de complexité à la production de sens. L’ensemble des dispositifs de médiation numérique incite également à repenser la question des sources, ces dispositifs étant un nouvel espace de production de traces des faits sociaux1. Il est ainsi nécessaire de développer une sociologie du numérique qui considère les éléments techniques comme partie intégrante des relations sociales afin de répondre à la crise épistémologique qui tend à priver les sciences sociales de la légitimité d’étudier le monde social2.

Les lignes qui suivent abordent les effets des dispositifs numériques sur le monde social et leur étude par le biais d’une réflexion sur les mémoires artificielles dont le support est numérique3. Les mémoires artificielles sont ici entendues comme des espaces de stockage et d’organisation de l’information constitutifs de la personnalité, du goût et des valeurs extérieurs au corps biologique. Ces espaces exosomatiques de délégation cognitive portent en eux le pharmakon4 de tout dispositif technique : ces pratiques peuvent donner lieu à un affaiblissement de la mémoire par la délégation aux dispositifs numériques ainsi qu’à une pénétration par ceux-ci dans la vie privée des utilisateur·ices, mais ils permettent par ailleurs, d’un point de vue épistémologique, d’extérioriser et ainsi de laisser des traces numériques des pratiques liées aux intérêts et goûts personnels des utilisateur·ices. Nous illustrerons notre propos par des références au fonctionnement de plateformes de stockage d’informations culturelles, considérés comme des espaces hypomnésiques5. Cet angle d’approche nous permet d’ouvrir la réflexion sur les implications de cette extériorisation de la mémoire du point de vue des pratiques individuelles et collectives et des conséquences spatiales, sociétales et sociologiques de celle-ci.

Nous commencerons en exposant la notion de mémoire par les descriptions qu’en fait la psychologie afin de tenter de comprendre quelle mémoire est concernée par l’utilisation de mémoires artificielles numériques et de tisser des liens entre ces mémoires et la notion d’espace. Nous déroulerons alors la réflexion vers des considérations d’ordre épistémologique, pour comprendre ce que les pratiques liées aux mémoires exosomatiques offrent comme possibilités pour une sociologie de la culture, des goûts et des valeurs dans un contexte numérique. Nous élargirons alors le propos vers les possibilités et les difficultés pour les sciences sociales, de donner du sens à l’observation des pratiques et des traces laissées par celles-ci.

Mémoires et espace

Mémoire(s)

La capacité mnésique de l’être humain est l’une des caractéristiques fondamentales permettant l’émergence d’une identité individuelle et collective. Mais la notion de mémoire porte en elle une nébuleuse composite de distinctions qui dépendent du contexte d’énonciation des définitions de celle-ci. Des champs d’étude aussi disparates que la biologie, la physique, l’informatique, l’intelligence économique, la littérature et les sciences humaines se sont emparés du terme de “mémoire” pour décrire des réalités souvent bien différentes. Dans le cadre de notre objet d’étude, nous empruntons des définitions de la mémoire à la psychologie, du fait qu’elles semblent coïncider avec les pratiques dans l’usage des mémoires artificielles numériques. Précisons que nous évoquons ici uniquement les éléments de psychologie nécessaires aux développements d’une réflexion sur les mémoires exosomatiques numériques.

Lorsque l’on parle de mémoire, d’un point de vue psychologique, “il s’agit de notre capacité à nous souvenir des êtres, des lieux et des choses grâce à l’image que nous en possédons, imprimée et emmagasinée en permanence dans notre cerveau”6. On trouve, en creux de cette définition très générale, les différents mécanismes qui construisent le processus de la mémoire : encoder (ou enregistrer), stocker (ou consolider) et récupérer (ou rappeler) des informations7. On distingue la mémoire à court terme de la mémoire à long terme, laquelle est ramifiée en deux sous-systèmes fonctionnels, la mémoire explicite (ou déclarative) et implicite (ou non déclarative), elles-mêmes divisée en des processus opérants à divers niveaux de la mémorisation, du stockage et de la remémoration. Les deux ramifications de la mémoire explicite sont les mémoires épisodiques et sémantiques8. À partir de ces informations, nous considérons que les processus d’encodage, de stockage et de récupération d’éléments culturels tiennent de la mémoire à long terme explicite du fait que la nature de l’encodage des informations culturelles, que leur récupération doit être consciente et que ces éléments de mémoires tiennent des “connaissances du monde” (mémoire sémantique) mais qu’elles peuvent également être liée à des événements personnellement vécus (mémoire épisodique)9. On peut consolider le souvenir d’une musique comme une connaissance “encyclopédique”, mais on peut également se souvenir d’une musique parce qu’elle est liée à un événement autobiographique précis dont le souvenir rappelle à cette musique. 

Nous allons maintenant tenter d’intégrer les supports exosomatiques dans le cadre de cette définition des mémoires.

Mémoires artificielles et exosomatiques

Notre réflexion s’inspire du travail qu’a entrepris Bernard Stiegler avec Ars Industrialis, en particulier sur la question des organes exosomatiques et de la mémoire. La position que défend Stiegler est que “la vie de l’esprit est essentiellement constituée par son extériorisation”, extériorisation qui prend donc une forme technique au sens large10. Ainsi, la condition même de la mémoire est “qu’elle puisse se projeter hors d’elle-même (dans des hypomnémata11) pour dépasser sa finitude, se nourrir et se transmettre12.” Il est alors dit, dans l’entrée Anamnèse/hypomnèse (Mémoire) du Vocabulaire13 d’Ars Industrialis:

Où se loge la mémoire ? Tout l’enjeu est de comprendre que l’on ne peut plus répondre “dans la tête”, et d’en tirer les conséquences philosophiques, économiques et politiques. (…) Ainsi, la mémoire (individuelle et sociale) n’est pas seulement dans les cerveaux mais entre eux, dans les artefacts. La mémoire n’est pas interne : elle est essentiellement un processus d’extériorisation.”

Ars Industrialis14

C’est bien là le développement que nous aimerions apporter aux précédentes définitions psychologiques : la mémoire n’est pas uniquement stockée dans le cerveau des êtres humains, mais également dans des “organes exosomatiques” de stockage de l’information. La nature externe de ces organes permet une pérennité de l’information au-delà de la vie biologique de l’individu·e et par là le déploiement d’une intelligence collective, ainsi qu’une intelligibilité des goûts des utilisateur·ices, notamment sous la forme de traces nativement numériques liées à l’utilisation de plateformes en ligne, sur lesquelles nous reviendrons plus bas. L’extériorisation donne également lieu à de nouvelles pratiques ainsi qu’à une conception spatiale de la mémoire, individuelle et collective. Par ailleurs, la notion de mémoire transactive, développée par Daniel Wegner en 198515, nous permet d’éclairer davantage la façon dont les individu·es font un usage mémoriel d’organes externes à leur propre corps. Sans revenir sur la notion de mémoire et sur les dimensions d’encodage, de stockage et de récupération des connaissances développées plus haut, la mémoire transactive fait référence aux systèmes de connaissances dans lesquels s’inscrit un·e individu·e : ce système peut désigner un couple, une famille, des collègues de travail, mais aussi les réseaux sur Internet ainsi que les communautés des plateformes et interfaces disponibles en ligne.

Implications spatiales de la mémoire

Il nous faut ici souligner que la notion d’espace est liée aux pratiques mnésiques depuis l’Antiquité à travers les “arts de la mémoire”. Ces derniers sont des processus mnémotechniques impliquant la méthode des loci, des lieux. Cette méthode consistait à choisir des lieux (souvent les salles d’un palais) et des images puis de mettre les images dans les lieux comme autant de supports mnémotechniques. L’orateur, lors de son long discours, déambulait virtuellement dans le palais de sa mémoire et observait les images placées lors de la construction de son discours qui lui permettaient alors de se souvenir des éléments de celui-ci ainsi que de l’ordre de leur énonciation16.

Mais Internet, contrairement aux palais de la mémoire, tient d’une réalité partagée en dehors de la reminiscentia individuelle – comme vu plus haut avec la mémoire transactive. Internet est un espace parce qu’il est partagé17. Pour comprendre Internet comme un espace, nous reprenons ici la conception relative et relationnelle de l’espace développée par Boris Beaude pour décrire Internet comme un espace18. Dans cette conception, issue de la notion platonicienne de chôra, l’espace est constitué des relations entre les individu·es et l’environnement mais également des individu·s entre elleux. C’est au sein de ces contacts réticulaires permettant de maîtriser la distance que nous tendons à placer les mémoires artificielles numériques ayant pour support des plateformes numériques dédiées aux intérêts culturels : par l’extériorisation des mémoires, et par là des goûts, elles sont partagées aux autres utilisateur·ices de ces mêmes plateformes, mais sont également rendues visibles aux acteur·ices qui les déploient. Dans le cas de Spotify notamment – exemple sur lequel nous reviendrons plus tard – la plateforme en elle-même est une fraction conséquente de la mémoire collective musicale de l’humanité19, que chaque individu·e peut singulariser par la création de sa bibliothèque de like, de playlists, de tableaux d’épingles, de partages, etc. Ces pratiques d’appropriation de la mémoire collective laissent alors des traces numériques, indicateurs et formes intelligibles des goûts personnels, de par les traces, souvent involontaires (clics, adresse IP, informations sur les URL, cookies, etc.) laissées en ligne.

Numérique, sciences sociales et nouvelles formes de mémoires

Le fonctionnement réticulaire d’Internet a durablement modifié nos interactions et notre rapport à la mémoire : il est aussi devenu en lui-même un support de mémoire externe. Nous nous concentrons ici sur ce que l’utilisation d’Internet induit comme changements sur les pratiques individuelles et collectives de mémorisation. Cela nous mènera ensuite à des questionnements épistémologiques liés à la sociologie du numérique, plus particulièrement à la sociologie de la culture et des goûts individuels : comment compose-t-elle avec les changements culturels induits par le numérique? Puis plus précisément, comment peut-elle appréhender l’expression de ces derniers par le biais des plateformes de mémorisation exosomatiques ? Ces questions nous permettront de nous pencher ensuite sur les changements de pratiques scientifiques et les potentielles nouvelles méthodes que la sociologie de la culture peut développer pour appréhender les traces numériques des goûts individuels.

Il nous faut souligner ici que le “Web 2.0” est à considérer comme une nouvelle modalité de médiation plutôt que comme un réel tournant technologique 20. L’interopérabilité et le caractère décomposable du code informatique permettent aux individu·es de s’affranchir du temps et des distances inhérentes à l’espace, rendant de ce fait poreuses les catégories précédemment établies par la sociologie. En effet, “l’algorithme amplifie les possibles qui vont affecter nos traditions culturelles”21. Sans faire un retour détaillé sur l’histoire de la sociologie de la culture, de ses objets et de ses méthodes22, ces catégories comprennent, entre autres, l’analyse des inégalités sociales d’accès à la culture, des formes de domination, des différences de genre en lien avec les intérêts culturels, des variables en fonction de l’âge, du lieu de résidence, des parcours de vie, des modes d’initiation aux goûts culturels, ou encore le “rôle de la sociabilité et des contextes de pratiques [ou de consommation de la culture]”23.  

Dominique Boullier définit par ailleurs le numérique comme une « technologie cognitive » : de par le constat « qu’il n’existe pas de savoirs sans support matériel », cela permet à la sociologie de dépasser la vision structuraliste héritée d’Emile Durkheim, mais aussi celle, positiviste, qui considère que « le cerveau […] serait le seul centre de commande de nos activités cognitives ». Des outils ou objets concrets, tels que l’écriture24, mais aussi le numérique, permettent d’appréhender les catégories susmentionnées comme  ancrées dans des dispositifs techniques », « [ne pouvant] en être détachées sous peine de perdre la compréhension de leur genèse et de leur pouvoir d’agir25. » Le numérique modifie peu à peu nos façons de penser, d’interagir et de mémoriser. 

Nouveaux partages de mémoire et intelligence collective

Dès ses débuts, le numérique a eu un impact sur les pratiques culturelles individuelles. Les façons de consommer, “les frontières entre public et privé, les pratiques solitaires et [les] pratiques collectives” changent26. Nous allons discuter les effets du changement de paradigme induit par le numérique sur les pratiques liées aux goûts culturels individuels, en revenant notamment sur le concept de mémoire transactive. 

La notion de mémoire transactive nous permet de comprendre comment les individu·es font un usage mémoriel des nouvelles techniques et technologies numériques : les ordinateurs font partie de notre mémoire transactive. Internet et les multitudes de plateformes et interfaces disponibles en ligne relèvent d’une folksonomie27 et non plus d’une topologie : comme le relève Louise Merzeau28, la personnalisation des interfaces, logiciels, et outils disponibles produit une nouvelle dissémination des traces et de nouvelles manières d’organiser la mémoire individuelle. Sur des sites ou applications comme Flickr, Instagram, Spotify ou encore Youtube, l’on constate une thésaurisation collective des connaissances – ou “système de l’épinglage”, pour reprendre la terminologie de Pinterest29. Le numérique amplifie en effet la réticularisation des mémoires partagées entre individu·es30. Nous reprenons ici une conception d’Internet et des outils numériques en lien avec les pratiques mnésiques comme une “anti-mémoire sans oubli”31. Les utilisateur·ices  ne se souviennent plus des informations trouvées en ligne, mais se souviennent qu’elles sont trouvables en ligne et comment y accéder. Sans Internet, certaines informations seraient probablement restées dans les mémoires biologiques, mais le fait de savoir qu’elles sont accessibles en tout temps depuis presque partout les efface de l’esprit des utilisateur·ices32.  

Sparrow et al. démontrent cela dans leur article “Google Effect on Memory: Cognitive Consequences of Having Information at Our Fingertips”33. Leur constat final est que les individu·es peuvent soit se souvenir d’une information, soit se souvenir de l’endroit où celle-ci se trouve. C’est ce second processus qu’iels nomment le “Google Effect”. En effet, Google illustre bien ce que nous entendons par une forme de mémoire exosomatique numérique : les individu·es tendent à oublier ce qu’iels savent qu’iels peuvent trouver sur Google. Nous pouvons donc affirmer qu’Internet, à travers les interfaces  et outils y donnant accès, est donc devenu une forme de mémoire externe ou transactive34 : l’on peut parler de “computer-based memories”35

Méthodes et objets de la sociologie de la culture

Penchons-nous ici sur les difficultés imposées par le numérique à la sociologie de la culture, du fait des redéfinitions rapides des catégories qu’elle étudie. Comme le note Christine Détrez, “la sociologie de la culture semble […] à un tournant de son histoire”36 : ses outils ne sont – pour le moment – plus adaptés aux changements extrêmement rapides du monde social du fait des évolutions technologiques en lien avec le numérique . Les sciences sociales utilisent depuis le début du 20ème siècle des méthodes englobant à la fois la société et l’opinion publique, que ce soit par des méthodes qualitatives (ethnographies, entretiens, histoire orale) ou quantitatives (tels que les sondages, mobilisant des méthodes statistiques comprenant un intervalle de confiance, celui-ci incluant un échantillon qui se devait d’être représentatif de l’objet de l’étude). Ces méthodes sont d’ailleurs toujours dominantes aujourd’hui. Cependant, quelles sont les nouvelles méthodes utilisées dans le cadre d’études prenant en compte les technologies et outils numériques comme partie intégrante du monde social ? 

Christine Détrez qualifie la période que vit actuellement la sociologie de la culture de « véritable rupture épistémologique. »37. Elle souligne la difficulté de développer de nouvelles méthodes efficaces face aux changements rapides que vit le monde social et la société, influant sur les pratiques des individu·es et donc, sur les objets étudiés. En effet, un nouvel élément s’impose à toute étude sociologique : les traces numériques. Non seulement certaines formes et pratiques culturelles sont nativement numériques, mais des traces sont aussi créées en lien avec des formes culturelles non-nativement numériques, mais médiées par cette technologie (l’on peut parler ici de traces numérisées). Les relations sociales sont aujourd’hui en grande partie (re)médiées par le numérique : les traces numériques sont un type de données entièrement nouveau à prendre en compte. Dès lors, « la traçabilité devient un des critères de qualité de la production de données et sa validité n’est démontrable que dans le monde des réseaux numériques. »38. Cette affirmation soulève de nombreuses difficultés auxquelles doivent faire face les sciences sociales – y compris la sociologie de la culture – en termes de méthodes d’accès et d’analyse efficientes afin de donner une intelligibilité du monde social. Avant de développer ces questionnements, nous allons nous attarder sur la nature des traces numériques. 

Une trace, de manière générale, est une « manifestation observable d’un impensé, […] laissée à son insu par l’animal ou par l’homme […]. »39. Toute pratique laisse des traces, et l’analyse de ces dernières nous permet de donner sens aux pratiques. En ce qui concerne la sociologie de la culture, la question est de savoir comment donner sens à ce nouveau type de traces nativement numériques, produisant de nouvelles données sur le monde social et sur les pratiques individuelles en lien avec les goûts culturels, aidant potentiellement à observer la façon dont les personnes font usage de ces nouveaux partages de mémoire numériques réticulaires. Les traces, numériques, qui nous intéressent ici peuvent être « […] un clic, un like, un retweet […] un temps de passage sur une page […] »40, mais aussi une playlist, un tableau (comme sur Pinterest), un nombre de followers, etc. Elles se situent à différents niveaux : celui des logiciels, des systèmes d’exploitation, des navigateurs Internet et de leurs extensions, du choix de VPN. 

Les User Generated Contents, tels que les plateformes comme Instagram, Facebook, Pinterest, YouTube ou encore Spotify, accentuent la dimension inconsciente de la traçabilité numérique. Les utilisateur·ices de ces plateformes externalisent leur mémoire en s’abonnant à des comptes ou en stockant ou publiant des informations (comme des images, de la musique ou du texte) : iels utilisent ces plateformes comme un moyen de se souvenir où se trouvent leurs intérêts individuels et comme moyen de stockage, sans forcément prendre activement conscience des traces que cela produit et comment ces plateformes les utilisent. 

Face à la massification des données personnelles, l’usager a besoin de “bibliothécaires de soi” pour l’aider à entrer vivant dans l’archive et développer une nouvelle “science de la mémoire” […]. Le détour par un médiateur n’a pas ici pour but d’augmenter la rentabilité des traces, mais d’accompagner leur assimilation culturelle. 

Louise Merzeau41

De ce fait, afin de « rendre praticables les plateformes auxquelles il [sic] se connecte»42, l’individu·e laisse de plus en plus de traces – ou potentielles données observables pour les scientifiques. Ces « bibliothèques de soi » ont cependant comme conséquence un « recyclage des traces »43, limitant graduellement les individu·es à leur propre bulle algorithmique, celle-ci influant le développement des goûts individuels : « Ne cherchant plus que dans ses propres traces et celles de son graphe social, l’internaute voit ses opportunités heuristiques se réduire aux contenus classés comme compatibles. »44. Par ailleurs, « l’accent mis sur les singularités dissémine les traces plus qu’il ne les circonscrit dans des espaces coupés de l’extérieur », et ceci est dû à la dimension prescriptive des User Generated Contents inhérents au Web 2.0, où les utilisateur·ices sont contraint·es d’aménager et de personnaliser leurs espaces numériques du fait de la « vaporisation de [leurs] données personnelles. »45. Car plus les individu·es souhaitent personnaliser les interfaces et plateformes utilisées, plus iels laissent des traces singulières et éparses. Cette dissémination des traces nous ramène aux questions d’ordre épistémologique en lien avec la sociologie de la culture. Le numérique change les pratiques des individu·es : la sociologie doit développer des méthodes adéquates pour observer ces pratiques. Quelles méthodes pourraient employer les sociologues de la culture afin de prendre en compte les traces laissées par les intérêts personnels sur Internet en général et sur les plateformes culturelles en particulier ? En effet, « les traces numériques […] se signalent par leur déliaison »46, ce qui renforce la difficulté à les comprendre. Cela rend l’étude sociologique de la culture, des goûts et des valeurs par le prisme des technologies et plateformes numériques  particulièrement complexe, puisque l’objet de celle-ci est, de façon générale, l’étude des relations47. Mais du fait que ces relations sont disséminées partout sur le Web, comment en faire sens, comment les relier entre elles ? Même si les sociologues ont accès aux traces, comment juger de leur représentativité ou de leur qualité48?

Nouvelles intelligibilités 

Le prix à payer des méthodes numériques est celui-là, assez voisin des sciences expérimentales sur ce plan, une robustesse plus grande pour des énoncés de portée plus faible.”

Dominique Boullier49

L’une des principales difficultés posée à la sociologie est celle des remédiations sociales par le numérique50. Nous avons rapidement revu plus haut les méthodes déjà utilisées par la sociologie en regard d’objets non nativement numériques. Mais quelles difficultés méthodologiques et épistémologiques s’imposent pour prendre en compte les pratiques en ligne? Après avoir défini ce qu’étaient les enjeux des traces numériques sous le prisme de l’étude des intérêts et pratiques culturelles – nouvelle composante inévitable pour une analyse efficiente du monde social actuel – les sciences sociales ne semblent pas encore équipées pour y avoir accès ou pour les analyser correctement. Commençons par mentionner la difficulté d’accès aux données générées par les technologies numériques, qui se trouve être l’obstacle le plus frontal rencontré par les sciences sociales. En effet, des questions institutionnelles entrent en jeu dans ces débats : les instances possédant le plus de données sur les traces numériques sont des entreprises privées, et donnent principalement accès à ces données pour des recherches initiées par des scientifiques issu·es de l’informatique et de l’ingénierie, plutôt qu’à des chercheur·euses en sciences humaines. Nous comprenons que les plateformes culturelles numériques peuvent être considérées comme des outils de délégation cognitive de la mémoire et que les relations que les utilisateur·ices développent entre elleux ainsi qu’avec les plateformes elles-mêmes créent un espace culturel nouveau, intelligible grâce aux traces que ces pratiques laissent. Mais « les données ne sont pas produites pour les sciences sociales, mais pour les besoins dont elles émanent (marketing, surveillance, maintenance…)51. » Lorsqu’il s’agit, dans une dynamique de recherche en sociologie de la culture, d’accéder à ces traces, différents problèmes s’opposent à la démarche du chercheur ou de la chercheuse de ce domaine. De plus, une certaine prudence est nécessaire quant à l’utilisation des traces numériques. Comme le souligne Dominique Merzeau, « la traçabilité ne se résume pas au changement de support de nos inscriptions »52, ce qui implique qu’il ne suffit pas de transposer les méthodes des sciences sociales utilisées à des objets non-nativement numériques sur les traces nativement numériques pour comprendre ce nouveau pan du monde social. De plus, « leur quantité ne dit rien de leur qualité, pas plus que de leur représentativité […]. »53. Ainsi, malgré la quantité vertigineuse de traces numériques laissées par les individu·es, il est encore difficile pour les sciences sociales d’en maîtriser non seulement l’observation – leur accès est principalement détenu par des firmes privées telles que Google, Spotify ou Facebook –, mais aussi de saisir ce qu’elles représentent. En ce qui concerne notre réflexion autour des mémoires numériques exosomatiques des intérêts personnels, il faut supposer que les traces numériques « représentent […] des mondes clos tels que celui d’Amazon [et de Twitter, Instagram, Spotify, YouTube et autres interfaces fonctionnant sur le modèle susmentionné de User Generated Content], où leur efficience est optimale, car auto-référente […] »54, et que leur analyse serait moins pertinente dans des études sociologiques se concentrant sur d’autres domaines que l’expression des intérêts personnels sur ce genre de plateformes.

Spotify et les traces numériques

Mais développons ici un exercice de pensée. Imaginons que l’on puisse avoir accès à un corpus important de données sur les pratiques des utilisateur·ices d’une plateforme telle que Spotify. Comment pouvons-nous donner du sens à ces données et quels sont les biais qu’il faut éviter dans ce processus d’intelligibilité ? Comment créer de la connaissance à partir d’une quantité importante de données collectées dans le contexte d’une plateforme numérique ? Quelles sont les méthodes utilisées aujourd’hui pour donner du sens aux données et quelles sont leurs validités épistémologiques ? Le numérique offre en effet une opportunité unique, et avec elle un grand défi, d’accéder aux phénomènes du monde social avec un niveau de granularité nouveau pour les sciences sociales. 

Héritières de multiples disciplines de par la nature interdisciplinaire de ses fondements, les humanités numériques – dans lesquelles nous situons la sociologie de la culture utilisant les données récoltées sur les plateformes de streaming comme source – ont à leur disposition un large éventail de méthodes, anciennes et récentes. Mais pour comprendre lesquelles ont une valeur heuristique, il nous faut avant tout décrire la nature des traces auxquelles nous aurions accès dans le cas d’une étude sur les goûts et les intérêts à travers la plateforme Spotify. 

Les données qui pourraient être récoltées sur Spotify sont nativement numériques car liées à l’utilisation de la plateforme. Cette dernière est transparente sur les données qu’elle collecte sur ses utilisateur·ices, sur la manière dont elle le fait ainsi que sur la façon dont elle les utilise. Celles-ci se divisent en trois catégories. La premières contient les données d’inscription du compte, qui contiennent l’e-mail, la date de naissance, le sexe, le code postal et le pays. La seconde catégorie se constitue des données d’utilisation du Service Spotify, à savoir les titres écoutés, les playlists créées, le contenu vidéo regardé, les interactions avec les autres utilisateur·ices de Spotify mais également une multitude de données techniques : des informations sur les URL, les données des cookies, l’adresse IP, les types de périphériques utilisés pour accéder au Service Spotify, les ID de périphériques uniques, les attributs de périphériques, le type de navigateur, etc. La dernière catégorie de données, les données mobiles volontaires, contient des données qui permettent d’ « améliorer votre expérience du Service Spotify », à savoir les photos de l’utilisateur·ice (et ainsi le GPS et le bluetooth de l’appareil de l’utilisateur·ice), ses données vocales et ses contacts. S’ajoutent à cela les données de paiement ainsi que les données marketing. Voici donc les données disponibles, en supposant que les communications de Spotify sont transparentes  et exhaustives. 

Nous considérons, avec Dominique Boullier, que la sociologie qui peut développer une intelligibilité de ces données est une sociologie de troisième génération et que ces données sont des traces des pratiques individuelles55. Il est nécessaire de les considérer en fonction de leur contexte de captation et d’être conscient que ces traces nous informent uniquement sur les pratiques des utilisateur·ices de la plateforme Spotify56. Nous nous basons également sur les Digital Methods développées par Richard Rogers pour tenter de comprendre comment leur donner du sens, en considérant qu’Internet devient le terrain et la source des données. Nous reprenons l’idée que des données nativement numériques nécessitent de nouvelles méthodes, elles aussi numériques. Dans notre cas, les données sont utilisées par la plateforme à des fins d’amélioration de l’expérience de l’utilisateur·ice pour qu’iel continue à l’utiliser. Il nous faudrait donc utiliser la méthode du repurposing évoquée plus haut afin de détourner ces données initialement utilisées à des fins commerciales vers une utilisation de celles-ci pour la recherche57.

Ces présupposés épistémologiques énoncés, nous sommes face au dilemme fondamental devant lequel se trouve le ou la sociologue lorsqu’iel tend à donner du sens à des données en quantité importante : les sciences sociales ne sont pas les plus à même de traiter ces données, mais les sciences qui le sont (l’ingénierie, l’informatique) ne sont pas les plus adéquates pour s’emparer des problématiques du monde social. Ces dernières tendent à formuler des lois générales dont la fonction est de prévoir, lorsque les sciences sociales s’intéressent aux causes des phénomènes58. Les tenants d’un renouvellement de la physique sociale positiviste – tels Anderson, Pentland, Barabási – considèrent que la corrélation suffit et que, muni·es de ces conséquentes bases de données, nous pourrions prévoir quel genre de musique sera écoutée par la population mondiale (ou tout autre recherche liée aux données issues de Spotify) du fait de corrélations parfois hasardeuses, en négligeant l’instabilité du monde social et le fait que publier des recherches sur le monde social peut affecter ce dernier.

Il pourrait en revanche être possible, dans le cadre d’une étude de sociologie de la culture sur les goûts musicaux, de sélectionner un échantillon de population qui utilise uniquement Spotify pour écouter de la musique et tenter, grâces aux données récoltées et au distant reading, de développer une analyse générale des goûts musicaux des utilisateur·ices de la plateforme et des tendances propres aux classes sociales (grâces aux données d’inscriptions du compte).

Les sciences sociales doivent donc développer des méthodes permettant de rendre compte de façon pertinente de la représentativité, de la pertinence de l’échantillon choisi pour l’analyse, d’un équilibre entre méthodes quantitatives et qualitatives. L’article The End of Theory59 relève d’ailleurs bien l’importance pour la sociologie de prouver sa pertinence face aux interprétations purement quantitatives du monde social que peuvent produire des scientifiques issu·es de l’informatique ou de l’ingénierie, ayant eu accès plus aisément à un plus grand nombre de données. 

Désormais, pour la plupart des décideurs, les techniques du Big Data et du Machine Learning, capables de corréler tous types de données et de traces, peuvent suffire à prédire les solutions gagnantes, sans avoir à discuter de quelconques causes toujours posées en hypothèses par des chercheurs impuissants. […] Avec le Big Data, l’exhaustivité et la représentativité sont perdues car il n’existe plus de totalité de référence sur ces réseaux numériques mais la vélocité est une nouvelle qualité des données qui génère à elle seule un autre univers de données.

Dominique Boullier60

Il faut ainsi faire attention à ne pas se satisfaire d’un distant reading61 de la société avec les traces numériques, mais comment? Les sciences sociales pourraient apporter une analyse qualitative – du moins, réflexive – des traces numériques. Au risque d’exposer ici une tautologie, le monde social est bien trop complexe pour se résumer à des données purement quantitatives. Il reste encore à trouver une façon satisfaisante et efficace de réorienter62 les traces laissées par les utilisateur·ices d’Internet afin de rendre intelligibles les phénomènes analysés dans toute leur complexité.

Conclusion

La mémoire a pris, avec le développement du paradigme numérique, une nouvelle dimension. On ne peut ainsi plus affirmer que les processus de stockage et de remémoration se situent uniquement à l’intérieur du cerveau des individu·es, mais qu’ils prennent aujourd’hui place dans les espaces interindividuels des artefacts numériques que sont les plateformes de consommation culturelles, telles que Spotify. La mémoire, par son extériorisation, est devenue collective et transactive. 

Du point de vue épistémologique, les pratiques liées à l’appropriation de cette extériorisation laissent des traces numériques qui sont aujourd’hui majoritairement utilisées à des fins stratégiques, politiques ou commerciales. Mais elles portent également en elles un potentiel heuristique d’une granularité nouvelle pour les sciences humaines et sociales. Face à ces nouvelles sources, celles-ci se doivent d’opérer à un renouvellement de leurs méthodes si elles souhaitent répondre à la remise en question épistémologique qui tend à les priver de la légitimité d’y accéder et d’y donner du sens. Les méthodes traditionnelles des sciences sociales, telles la sociologie de la culture, doivent aujourd’hui être mises à jour pour s’adapter au nouvel espace qu’est Internet, sur lequel une grande partie des interactions sociales prennent place.

Ces quelques lignes n’ont pas pour objectif d’exposer des solutions, mais davantage de formuler un problème et de proposer des ouvertures sur de potentielles recherches. Il pourrait être fécond de mettre en place des expériences en psychologie cognitive afin de comprendre les nouveaux mécanismes mnésiques liés au paradigme numérique, dans la lignée du travail de Sparrow & al. Dans une perspective de sociologie de la culture, on pourrait également se demander dans quelle mesure le phénomène de délégation de la mémoire influe-t-il sur le développement des intérêts culturels au sein du monde social. Le développement d’une analyse des enjeux politiques des traces récoltées par les plateformes de consommation culturelles pourrait également être fortement intéressant, afin de comprendre précisément l’utilisation des traces individuelles à des fins commerciales et de proposer des solutions pour une réappropriation des données personnelles par les utilisateur·ices, et étudier ces phénomènes d’un point de vue sociologique.

Clara Chavan & David Pavlik

Bibliographie

ANDERSON, C., “The End of Theory: The Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete”, in Wired, 23 juin 2008 : https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/.

BADDELEY, A., La mémoire humaine. Théorie et pratique, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 1992.

BEAUDE, B., Internet. Changer l’espace changer la société, FYP éditions, France, 2012.

BEAUDE, B., Les fins d’Internet, FYP éditions, France, 2014.

BEAUDE, B., « Spatialité algorithmique », Traces numériques et territoires. Nouvelle édition [en ligne], Presses des Mines, Paris, 2015, pp. 133-160.

BEAUDE, B., “Sychorisations réticulaires”, in Temps et temporalité du Web, Presses Universitaires de Paris Nanterre, Paris, 2018.

BEAUDE, B., « (re)Médiations numériques et perturbations des sciences sociales contemporaines », in La sociologie numérique, vol. 49, n°2, automne 2017, pp. 83-111.

BOULLIER, D., Sociologie du numérique, Armand Colin, 2ème édition, France, 2020.

CARDON, D., Culture numérique, Presses de sciences-Po, France, 2019.

DÉTREZ, C., Sociologie de la culture, Armand Colin, Paris, 2014.

DE ROSNAY, J., Le cerveau planétaire, Olivier Orban, France, 1986.

EUSTACHE, F., « MÉMOIRE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 décembre 2020. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/memoire/.

NEIDICH, W., Glossary of Cognitive Activism (For a Not So Distant Future), Archive Books, Berlin, 2019.

MERZEAU, L., “L’intelligence des traces”, in Intelligencia – La revue de l’Association pour la Recherche sur les sciences de la Cognition (ARCo), 2013/1, n°59, pp. 115-135.

ROGERS, R., Digital Methods, Cambridge, Mass. : MIT, 2013.

ROSENFIELD, I., L’invention de la mémoire, Flammarion, France, 1994, p. 19.

SPARROW B., LIU J., WEGNER D. M., “Google Effects on Memory: Cognitive Consequences of Having Information at Our Fingertips”, in Science Magazine, vol. 333, 5 août 2011, pp. 776 – 778.

STIEGLER, B. (dir.), Digital Studies. Organologie des savoirs et technologies de la connaissance, FYP éditions, France, 2014, p. 14.

TULVING, E., “Episodic and semantic memory”, in Organization of Memory, Academic Press, 1972.

YATES, A. F., L’art de la mémoire, Gallimard, Paris, 2016.

Sites

Vocabulaire, Ars Industrialis.

https://www.spotify.com/fr/legal/privacy-policy/, protection des données, Spotify.

  1. BEAUDE, B., « Spatialité algorithmique », Traces numériques et territoires. Nouvelle édition [en ligne], Presses des Mines, Paris, 2015, pp. 133-160.
  2. BEAUDE, B., « (re)Médiations numériques et perturbations des sciences sociales contemporaines », in La sociologie numérique, vol. 49, n°2, automne 2017, pp. 83-111
  3. Nous appuyons notre réflexion à propos des organes artificiels sur la conception organologique développée par Bernard Stiegler et Ars Industrialis, http://arsindustrialis.org/vocabulaire-organologie.
  4. Pharmakon, pharmacologie, Ars Industrialis.
  5.  D’après la définition qu’en donne Ars Industrialis, le terme hypomnèse “désigne la mémoire de rappel et toutes les techniques de mémoire : les aide-mémoires, exercices et autres « arts de la mémoire », aussi bien que les enregistrements matériels de toutes sortes qu’on appelle les hypomnémata.” Anamnèse/hypomnèse (Mémoire). Lorsque nous parlons d’espaces hypomnèsiques, nous désignons des plateformes numériques qui permettent aux utilisateurs d’activer la troisième dimension de la mémoire : le rappel.
  6. ROSENFIELD, I., L’invention de la mémoire, Flammarion, France, 1994, p. 19.
  7. EUSTACHE, F., « MÉMOIRE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 décembre 2020. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/memoire/.
  8. TULVING, E., “Episodic and semantic memory”, in Organization of Memory, Academic Press, 1972.
  9. TULVING, E., “Episodic and semantic memory”, in Organization of Memory, Academic Press, 1972 ; BADDELEY, A., La mémoire humaine. Théorie et pratique, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 1992 ; EUSTACHE, F., « MÉMOIRE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 décembre 2020. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/memoire/.
  10. STIEGLER, B. (dir.), Digital Studies. Organologie des savoirs et technologies de la connaissance, FYP éditions, France, 2014, p. 14.
  11. Les “hypomnémata” sont les enregistrements matériels de l’information, qui sont donc des supports techniques et technologiques, tels qu’un silex, un livre ou une encyclopédie numérique : Anamnèse/hypomnèse (Mémoire), Ars Industrialis. On peut considérer, avec Dominique Boullier, que les hypomnémata se sont vues amplifiées avec l’apparition et la démocratisation du numérique. BOULLIER, D., Sociologie du numérique, Armand Colin, 2ème édition, 2020.
  12. Anamnèse/hypomnèse (Mémoire), Ars Industrialis.
  13. Vocabulaire, Ars Industrialis.
  14. Ibid.
  15. Pour un développement plus complet, consulter WEGNER, D. M. (1986). « Transactive memory: A contemporary analysis of the group mind », in B.Mullen & G. R. Goethals (éds.), Theories of group behavior (pp. 185–205). New York: Springer-Verlag.
  16. YATES, A. F., L’art de la mémoire, Gallimard, Paris, 2016.
  17. BEAUDE, B., “Sychorisations réticulaires”, in Temps et temporalité du Web, Presses Universitaires de Paris Nanterre, 2018.
  18. Ibid. BEAUDE, B., Internet. Changer l’espace changer la société, FYP éditions, France, 2012. BEAUDE, B., Les fins d’Internet, FYP éditions, France, 2014.
  19. Le phénomène de centralisation des pratiques sur Internet (effet de réseau) rend possible ce genre de concentration de biens culturels sur une seule plateforme. Nous ne pouvons en revanche pas parler d’hypercentralité du fait que Spotify a des concurrents : Apple Music, Deezer, YouTube, etc.
  20. MERZEAU, D., « L’intelligence des traces », in Intellectia, 2013, 1 (59), pp. 115-135, p. 6 et BOULLIER, D., ibid., pp. 79-82
  21. BOULLIER, ibid., p. 4 et 5
  22. Pour cela, se référer à DÉTREZ, Christine, Sociologie de la culture, Armand Colin, Paris, 2014.
  23. DÉTREZ, ibid. p. 78.
  24. technologie cognitive que Boullier développe en introduction du chapitre 3, dans lequel il définit le numérique comme technologie cognitive, BOULLIER, ibid., p. 131
  25. BOULLIER, ibid., pp. 131-166
  26. DÉTREZ, ibid., p. 153.
  27. ou “indexation personnelle” : BOULLIER, ibid., p. 137.
  28. MERZEAU, ibid., p. 7.
  29. et de Dominique Merzeau, dans MERZEAU, ibid., p. 14: “A l’heure où les contenus semblent immédiatement et indéfiniment disponibles, cette “culture anthologique” (Doueihi, 2008) n’a pas pour objectif de sauvegarder des objets menacés de disparition. La thésaurisation ne se pense pas ici comme archive, mais bien comme mémoire. La raison de ces collections est tout entière dans le geste d’élection qui prélève un fragment du flux pour se l’approprier et le signaler aux autres comme trace identitaire.”
  30. Nous soulignons ici que l’utilisation des mémoires externes au corps n’est pas une pratique nouvelle liée au numérique car on peut considérer que dès lors que l’humain a extériorisé des éléments mnésiques sur des supports matériels comme des tablettes d’argiles, des parchemins ou des livres, nous pouvons les considérer comme des hypomnemata. Ce que nous tendons en revanche à dire, avec Dominique Boullier, c’est que “le numérique agit avant tout comme une amplification (…).” BOULLIER, ibid., p. 12.
  31. MERZEAU, ibid., p. 11
  32. Comme le dit d’ailleurs Warren Neidich dans NEIDICH, Warren, Glossary of Cognitive Activism (For a Not So Distant Future), Archive Books, Berlin, 2019, “information learned on the internet is retained less well than information obtained by reading a book, as shown through analysis of MRIs of the areas of the brain for memory reconstruction”.
  33. SPARROW Betsy, LIU Jenny, WEGNER Daniel M. , “Google Effects on Memory: Cognitive Consequences of Having Information at Our Fingertips”, in Science Magazine, vol. 333, 5 août 2011, pp. 776 – 778.
  34. SPARROW et al., ibid., p. 776.
  35. SPARROW et al., ibid., p. 778.
  36. DÉTREZ, ibid., p. 139.
  37. DÉTREZ, ibid., pp. 154-155.
  38. BOULLIER, ibid., p. 323.
  39. MERZEAU, ibid., p. 8.
  40. BOULLIER, ibid., p. 322.
  41. MERZEAU, ibid., p. 16
  42. MERZEAU, ibid., p. 7.
  43. MERZEAU, ibid., p. 15.
  44. idem.
  45. MERZEAU, ibid., pp. 6-7.
  46. MERZEAU, ibid., p. 9.
  47. BEAUDE 2017, ibid., p. 86.
  48. BEAUDE 2017, ibid., p. 104.
  49. BOULLIER, ibid., p. 321
  50. BEAUDE, 2017, ibid., pp. 83-111.
  51. Rogers cité par BEAUDE 2017, ibid., p. 92.
  52. MERZEAU, ibid., p. 8.
  53. BEAUDE 2017, ibid., p. 103.
  54. BEAUDE 2017, ibid., p. 103.
  55. Pour Dominique Boullier, l’évolution de la sociologie se divise en trois générations différenciées par la définition du concept du social, les dispositifs de collecte des données, les acteurs majeurs de référence ainsi que par les acteurs opérationnels. 1ère génération : Statistiques: société: collectifs: approche par les structures. 2e génération : Sondages : opinion: individus: approche par le marché. 3e génération: Traces numériques : réplications: entités circulantes: approche par les émergences (et deuil du tout). BOULLIER, ibid., p. 322-325.
  56. BOULLIER, ibid., p. 321-326. Nous faisons ici référence au “deuil du tout” que Boullier emprunte à Latour : “rien ne sert de courir après leur [les cadres d’analyses] unification”, p. 325. Cette remarque tend aussi à porter l’attention sur les sampling error et les sampling biais afin de ne pas succomber aux erreurs de considérer que nos échantillons représentent la population dans son ensemble et qu’ils ne correspondent pas à la diversité réelle de la population.
  57. Rogers, R., Digital Methods, Cambridge, Mass. : MIT, 2013.
  58. Il peut être intéressant de souligner ici que la prédiction est également l’un des objectifs stratégiques de Spotify : « fournir, personnaliser et améliorer votre expérience (…) par exemple en fournissant du contenu, des recommandations (…) et ainsi proposer à l’utilisateur de découvrir des musiques semblables à ce qu’il écoute d’habitude par un croisement entre les données de la plateforme et l’utilisation d’une IA. » https://www.spotify.com/fr/legal/privacy-policy/#s5, https://www.youtube.com/watch?v=N_U4tEh9p_8.
  59. ANDERSON, C., “The End of Theory: The Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete”, in Wired, 23 juin 2008 : https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/.
  60. BOULLIER, ibid., pp. 321-322.
  61. Notion développée en 2005 par Franco Moretti, dans son ouvrage Distant Reading, publié chez Verso Books.
  62. Comme le note Boris Beaude à la page 92 de son article (re)Médiations numériques et perturbations des sciences sociales contemporaines, la réorientation – ou repurposing – définie par Richard Rogers est utile « pour qualifier la démarche qui consiste à traduire des traces produites dans un contexte particulier en des informations susceptibles de répondre à un enjeu spécifique. ». BEAUDE 2017, ibid., pp. 83-111.

Clara Chavan & David Pavlik