VRchat: un espace public virtuel?

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Avez-vous déjà rêvé de prendre l’apparence de n’importe quel être vivant ? De l’incarner et se balader ensuite dans des mondes plus fantastiques les uns que les autres ? Et ceci tout en rencontrant des personnes issues des quatre coins du globe ? Eh bien avec VRchat c’est possible ! Enfin, à quelques conditions près. Dans cet article, nous nous proposons d’examiner ce réseau social gratuit en réalité virtuelle qui s’inscrit dans l’engouement actuel pour le développement des métavers. En effet, avec l’achat de la technologie VR Oculus par Facebook en 2014, puis le changement de nom de la compagnie pour Meta, le projet de créer un cyberespace public à 360° est au cœur de l’actualité. 

Dans ce qui suit, nous allons examiner les notions d’espace, de public et de virtuel. Qu’est-ce qui se cache comme préconceptions derrière ces mots et quelles relations les sous-tendent ? Il s’agira dans un premier temps d’expliquer cette nouvelle forme de réseau social et faire un rapide retour historique sur les métavers. Nous souhaitons ensuite nous focaliser sur la nature de cette technologie et sur les sens cachés que l’expression « réalité virtuelle » recèle. On se demandera si l’on peut parler de nouvel espace à l’aide de quelques pistes qui seront esquissées. Nous ferons ainsi un tour du côté de la littérature secondaire pour voir quelles sont les possibilités de recherche offertes par VRchat, autant dans les enjeux que dans le matériel d’enquête des chercheurs. Finalement, nous souhaitons identifier quel type de traces numériques sont émises et à quel point elles sont disponibles.

Qu’est-ce que VRChat ?

Dans le monde occidental, on peut retracer l’apparition des mondes virtuels ou métavers au milieu des années 1990 (Gopala 2022). Parallèlement aux Chats et Forums en ligne, des plateformes de conversation dans un environnement 3D accessibles par une connexion Internet, sont mises en ligne, tel qu’active Worlds CyberTown… En 2001, une plateforme similaire est même développée en Suisse dans le cadre de l’exposition nationale Expo 02 : Cyberhelvetia. Ces plateformes sociales visent à créer une expérience sociale en ligne entre utilisateur-trices . Ces projets pilotes tombent cependant l’un après l’autre dans l’oubli dû à un manque d’engouement populaire et une complexité encore trop élevée pour les ordinateurs de l’époque pour que ce soit largement répandu (Keller 2002, p.495).

La démocratisation de ces univers a lieu en 2003 avec la sortie de Second Life, un jeu vidéo apparenté aux premiers métavers qui connaît un certain succès. Celui-ci permet aux joueur-euses d’y incarner des avatars dans un univers immersif modélisé en 3D accessible grâce à un ordinateur équipé d’un Windows ou MacOS. Second Life propose un monde dans lequel les joueur-euses peuvent interagir d’une part entre eux en discutant grâce à une messagerie instantanée, son microphone et même une monnaie virtuelle, et d’autre part avec les objets modélisés dans le monde du métavers. Il inspire logiquement la création de plusieurs métavers similaires tentant de faire une proposition concurrente (Numerama 2007). C’est ainsi que deux développeurs publient le 16 janvier 2014 la première version de la plateforme VRChat.

VRChat est tout comme Second Life un métavers proposant un monde dit « virtuel » dans lequel un joueur incarne un avatar de son choix et interagit avec des milliers d’autres joueur-euses potentiels présent-es simultanément dans le monde. L’originalité proposée par l’expérience VRChat se trouve à l’intérieur de son nom : l’acronyme VR pour « Virtual Reality », « réalité virtuelle » en français. Bien que, tout comme Second Life, il est possible d’accéder au monde VRChat avec son PC, il est recommandé d’utiliser plutôt un casque de réalité virtuelle pour profiter dans les meilleures conditions de l’expérience. C’est en effet grâce à son casque qu’une dimension supplémentaire s’ajoute à ce que propose Second Life, puisque l’équipement permet entre autres une reconnaissance des mouvements des mains, de la tête, des lèvres et du clignement des yeux. Ces fonctionnalités amènent des possibilités d’interactions entre joueur-euses bien plus grandes que les métavers classiques jouables avec un clavier et une souris. Au lieu de présenter un seul grand univers, VRchat est constitué de mondes à petite capacité entre 20 et 40 personnes. Il existe ainsi plusieurs versions du même monde. De plus, ces environnements sont pour la grande majorité générés par les utilisateur-trices de VRchat (Dudoglo 2022 : 23). Ainsi, outre communiquer, l’activité principale des joueur-euses est celle de découvrir de nouveaux lieux. Il existe des environnements réalistes tels que des bars pour se rencontrer, des plages paradisiaques pour s’y reposer, des boîtes de nuit pour danser, des quartiers futuristes, des zones spécifiquement conçues pour des activités comme des mini-jeux, etc. Les possibilités sont infinies tant que quelqu’un y a pensé et est capable d’utiliser les outils de créations (SDF : Software Development kit) mis à disposition par le jeu. 

Après sa version bêta en 2014, une première version finale sort sur les plateformes de téléchargement le 1er février 2017. La plateforme compte environ 10 000 personnes connectées en simultané et près de 70 000 personnes connectées par jour. Elle compte ainsi parmi les plateformes les plus populaires en réalité virtuelle (McVeigh-Schultz 2019). Cela pose la question : a-t-on affaire à un nouveau type d’espace ?

Conceptualiser les relations entre utilisateur-trices comme un espace

Fig.1 Intérieur de VRchat, joueur-euse en train de faire un jeu de plateau

Le nom « réalité virtuelle » permet instinctivement de penser ensemble les concepts d’espace et de numérique, qui ne vont cependant pas de soi, a priori. Arrêtons-nous un instant sur le terme réalité et sur les significations qu’il suppose. Pourquoi ce mode de jeu ne s’appelle-t-il pas « monde virtuel » ou simplement 3D comme le dispositif au cinéma ? Faire appel à la réalité c’est dans le langage commun, selon le Larousse, synonyme d’authenticité, évidence, existence, matérialité, vérité. Parce qu’elle recrée un sentiment de spatialité de l’environnement physique, c’est comme si la réalité virtuelle était plus réelle que les sites Internet. Étant donné que ceux-ci ont pour la plupart un format 2D, la notion d’espace est souvent impensée alors qu’elle est fondamentale pour comprendre ce qui se joue dans les relations numériques. En effet, l’espace est bien plus que le support de nos actions, il est à la fois relatif, immatériel et relationnel (Leibniz cité in Beaude 2014 : 32). Immatériel, d’abord un réseau social tel qu’Instagram par exemple est un espace singulier qui est à la fois limité par des règles — une certaine mise en page, un système d’abonnement — mais qui se caractérise par des potentialités telles qu’une diffusion de l’information via des postes visuels bien plus efficaces que dans l’espace physique. Relationnel ensuite, l’espace peut se constituer uniquement à partir d’interactions, ce qui est notamment le cas des réseaux. Dans VRchat ces interactions prennent différentes formes : il s’agit de rencontres en inconnus, de discussions entre amis, ou encore de jeux de différentes sortes (Fig.1). Cela va de jouer à « police et voleur » à faire des jeux à boire, mais également des enquêtes ethnographiques ou des expérimentations, sur lesquelles nous reviendrons plus tard, depuis que les scientifiques se sont intéressés à ce réseau social.

Relatif finalement, si l’espace est quelque chose de fondamentalement immatériel, alors le territoire représente la matérialité physique qui entoure notre être. Dans VRChat, à l’instar de Second Life, un monde modélisé en 3D est modélisé dans lequel le joueur à travers son avatar et grâce à un joystick ou ses propres jambes, selon l’équipement, s’y déplace et interagit. On peut penser que l’espace est réintroduit avec la VR, or on a tendance à confondre l’espace et le territoire (Beaude 2014:32). Ce monde en 3D est ainsi un territoire virtualisé puisqu’irréel au sens immatériel. Selon Beaude, en définitive « ce n’est pas de l’espace dont Internet est la virtualité, mais au mieux le territoire. Confondre les deux, c’est opérer un glissement sémantique qui, mal maîtrisé, conduit à la négation de la réalité des relations qui s’y déploient réellement et actuellement. » (2013 : 49). 

Cette parenthèse philosophique sur la définition de la réalité permet de reprendre notre question : est-ce que VR est un nouvel espace ? On peut dire qu’il n’est pas nouveau au sens où c’est la première fois qu’il y a un espace dans le numérique, mais il est nouveau dans le sens où, au même titre qu’un jeu ou un site, il offre de nouvelles possibilités, de nouvelles virtualités. Il faut donc le considérer dans son entier et étudier ses particularités. 

Concentrons-nous maintenant sur l’adjectif « virtuelle » qui qualifie la spécificité de l’expérience pour les utilisateur-trices sur VRchat. Ce terme est lié à la plateforme de plusieurs manières. Tout d’abord, il désigne concrètement le dispositif technologique des joueur-euses qui consiste en un casque stéréoscopique composé de lentilles, d’un écran, d’un son stéréo et de capteurs de position (Parth 2014:175). Le casque est accompagné d’autres périphériques capables de reconnaître le mouvement du corps qui sont principalement des manettes pour chaque main et des caméras à installer en hauteur dans la pièce. Finalement, cela suppose également la possession d’un ordinateur PC (cela ne fonctionne pas sur MAC) avec une carte graphique assez puissante pour faire tourner la réalité virtuelle. Le but de tout ce dispositif est de simuler la présence physique dans une réalité immatérielle.

Ensuite, virtuel se rapporte aux potentialités propres du monde de VRchat. En effet, si on remonte aux premières utilisations de ce mot, « virtual » en anglais désigne une potentialité. C’est un monde en puissance, qui relève du possible et qui dépend de ce que les utilisateur-trices feront de cet espace. La réalité virtuelle a été définie en 1996 comme ayant pour finalité « de permettre à une personne (ou à plusieurs) de vivre une expérience d’immersion ou pas, c’est-à-dire de mener une activité sensori-motrice et cognitive dans un monde créé numériquement, qui peut être « vimaginaire, symbolique ou une simulation de certains aspects du monde réel » (Fuchs 1996). Cet extrait présente à la fois le potentiel de cet espace, mais aussi son aspect artificiel. Le sens français de virtuel étant plutôt celui de « quasi-réalité ». Il y a une volonté de recréer un simulacre de réalité. Dans VRChat, on interagit en reproduisant les gestes qui se rapprochent de notre langage verbal et non verbal qui sont médiés par la technologie et transférés à nos interlocuteurs. En ce sens, la réalité est bien plus virtuelle que VRchat puisqu’elle « offre plus de possibilités virtuelles », tout le langage non verbal, mais aussi des actions telles que manger, sentir, établir un contact physique qui sont impossibles dans le jeu.

Fig.2 Uganda Knuckles avatars dans VRchat

Finalement, bien que le mot « virtuel » soit depuis une vingtaine d’années l’appellation d’usage dans le discours commun et les médias pour qualifier les mondes liés à n’importe quelle communauté en ligne, réseau social, jeu vidéo en ligne, bref tout ce qui découle d’interactions sociales permises par Internet, celui-ci amène une ambiguïté dans la manière de percevoir ces interactions. Cet adjectif, « virtuel », est perçu dans le sens commun comme l’antonyme de « réel«, ce qui mène à la définition de ces mondes comme des espaces irréels supposant ainsi que tout ce qui s’y passe n’est pas non plus de l’ordre du réel (Beaude 2014 : 35). Or, que cela soit dans un réseau social, un forum, un MMO ou un chat VR, des interactions réelles ont lieu entre des personnes souvent séparées par une grande distance, en ce sens l’expérience VRChat n’est pas virtuelle. Un exemple concret est le harcèlement dans le cyberespace. Plusieurs scandales ont éclaté concernant des plateformes sociales VR dénonçant des comportements inappropriés (Cortese 2019). La nature simulée de l’environnement porte en effet les joueur-euses à « déréaliser » l’espace dans lequel iels sont immergé-es et ont ainsi tendance à se déresponsabiliser de leurs actions (Beaude 2014 : 40). Cependant les conséquences sont bien réelles et bien qu’il n’y ait pas d’études de large ampleur qui permettent de chiffrer le phénomène, VRchat ainsi que d’autres entreprises de VR ont dû réagir en mettant des outils à disposition, tels qu’une interface pour dénoncer les joueur-euses abusif-ves et des menaces de bannissement de la plateforme (Cortese 2019). C’est notamment le cas d’Oculus qui a mandaté des chercheurs pour améliorer le sentiment de sécurité sur ces plateformes (Blackwell et al., 2019). Ainsi il faut concevoir la réalité virtuelle non pas comme une quasi-réalité, mais bien comme une réalité en potentiel, qui offre de nouvelles potentialités.

Un nouveau terrain d’enquête pour les pratiques scientifiques

Comme nous l’avons vu, les métavers ne sont pas un sujet nouveau, mais il existe un engouement actuel pour le développement de nouvelles plateformes, ce qui attire aussi de nombreuses disciplines à s’intéresser au sujet. Il nous semble important de faire un petit tour d’horizon de ces études pour pointer les biais potentiels et mettre en avant les critères pour construire une connaissance plus complète de ces nouveaux espaces. 

Pour parler de VRChat il faut donc avant tout parler de différents espaces interreliés. VRChat ne se limite pas à l’environnement 3D, cela suppose aussi un grand espace de jeu pour le joueur dans sa chambre ou son bureau. Par ailleurs, il y a aussi la communauté qui gravite autour de VRchat et qui s’exprime sur différentes plateformes. Cela inclut les forums, YouTube, Twitch, Discord, Twitter, etc. Bien qu’on ne puisse pas étudier tous ces aspects en même temps, il faut considérer leur influence. Par exemple, la popularité de VRchat a justement augmenté, par le biais d’un meme Uganda Knuckles (Fig.2) . Il s’agit d’une dérive du personnage issu du jeu vidéo Sonic qui répète des phrases issues d’une vidéo YouTube ougandaise. Des vidéos de VRchat, où ce personnage était utilisé comme avatar, se sont disséminées sur Internet et ont participé à faire connaître le jeu. 

Il est important d’ancrer le jeu dans une culture internet, mais il est également fondamental de faire un lien avec des territoires et des pays pour comprendre le monde virtuel. Par exemple, la majorité des avatars se caractérisent par un style graphique de type manga ou anime. En effet, une pratique courante dans VRchat est de se procurer des avatars sur des sites annexes qui sont ensuite à télécharger dans le jeu. D’après Dudoglo, parmi les sites les plus populaires, il y a une surreprésentation d’artistes japonais. La facilité d’accès à ce type d’esthétique, déjà populaire dans les milieux geeks, donne ainsi lieu à cette profusion. La réalité virtuelle n’est pas extraite de la réalité, elle en est une extension. 

Par ailleurs, la technologie doit aussi être prise en compte comme un acteur de ce réseau puisque c’est ses virtualités qui permettent de nouvelles interactions. Si l’immersion dans le monde virtuel est beaucoup plus intense qu’auparavant, c’est que le sens de la vue est complètement engagé à 360°, de même que le sens de l’équilibre également, car tous les membres sont mobilisés. L’ouïe également et partiellement le toucher grâce à des pulsations dans les manettes. Si l’immersion est convaincante, c’est parce que ces sens répondent à des stimulus qui ont trait à l’information (Beaude : cours 2022). Le numérique est un environnement audiovisuel composé d’ondes et d’énergie. Les sens qui réagissent aux aspects matériels du monde tels que l’odorat et une partie du toucher ne peuvent pas être stimulés par ce dispositif.

Ceci étant dit, l’étude approfondie de l’interaction entre dispositif et acteur-trices permet de mettre à jour des phénomènes a priori insoupçonnés tels que le « phantom sense ». La recherche ethnographique de Asshoff a porté sur ce ressenti « fantôme » produit par le cerveau en réaction à des actions sur la corporalité virtuelle de l’avatar (2022:44). Cette sensation existe hors du numérique, mais elle est cependant propre à la VR parmi les environnements audiovisuels. En effet, les personnes interviewées par Asshoff disent l’avoir ressenti uniquement dans ce type de dispositif (2022:46). La sensation la plus courante est celle d’être touché lorsqu’on reçoit une tape amicale sur la tête, une action courante dans VRchat pour montrer de l’affection. Cela peut cependant aller bien plus loin avec des séances de stimulations sensorielles ou au contraire des situations déplaisantes d’attouchement extrêmement mal vécues (Asshoff 2022:45). On pourrait considérer que plus la personne concernée est immergée dans le monde, plus elle va fusionner avec son avatar. L’immersion peut être définie ainsi : « the sensation of being surrounded by a completely other reality … that takes over all of our attention, our whole perceptual apparatus » (Ceuterick & al. 2021:10). Plus la simulation est proche des virtualités de notre corps, plus l’immersion est forte, d’ailleurs, ne pas pouvoir interagir dans un monde peut casser l’immersion (Ceuterick & al. 2021:11). Dans VRchat cependant, les utilisateur-trices ne sont pas complètement pris dans cette nouvelle réalité puisqu’iels doivent être constamment attentif-ves à ce qui les entoure pour ne pas se faire de mal, ou casser des objets (2022:48).

Cet exemple met en évidence la particularité de cette technologie et la finesse avec laquelle il faut l’analyser pour mettre à jour des phénomènes propres à son agentivité. En effet, cela visibilise le rôle crucial du dispositif pour induire ce type de comportement spécifique, à la fois conscience de son environnement et forte incarnation dans l’espace virtuel. L’étude sur le crowdsourcing s’inscrit en partie dans cette démarche d’examiner le système informatique de VRchat pour tester dans quelle mesure cet environnement est propice pour récolter des données d’un grand nombre de personnes volontaires (Saffo 2020). 

Les quelques autres études que nous avons analysées sont tendanciellement focalisées sur les relations sociales et les avatars. En effet, les autres chercheurs portent leur attention sur les relations sociales et très peu décrivent en détail le dispositif technologique ou la manière dont le monde est codé. On peut y constater la tendance décrite par Beaude de sur-estimer le visible les relations et moins les systèmes qui les sous-tendent. (2014:33). VRchat semble en effet être plutôt pensé comme un terrain d’expérimentation qui sert notamment à confirmer que des comportements de psychologie sociale ont aussi cours dans l’espace virtuel : « These results match psychological research findings from studies in the real world » (Dudoglo 2022:15). Cette expression « monde réel » est très utilisée pour faire une distinction avec le monde virtuel. Bien qu’il soit nécessaire de distinguer ces environnements, l’utilisation répétée de ce terme induit une hiérarchie de réalité qu’il faut déconstruire comme nous l’avons évoqué au début. 

Les traces de la VR, un enjeu de taille

Fig.3 Full body traking

Pour utiliser VRChat en profitant d’une expérience VR il y a plusieurs options. La plus courante, nécessite un casque et deux petits joysticks qui ensemble suivent les mouvements de notre tête et de nos mains, en 2022 c’est la société Meta Quest qui dominait encore ce marché (Tsai 2022). La plupart des casques actuels permettent de suivre le mouvement des lèvres ou encore de capter les expressions faciales. Pour une expérience encore plus immersive, il est possible d’ajouter des capteurs à d’autres endroits du corps (Fig.3). C’est la société HTC qui semble être la plus populaire pour ce type d’équipement (Nuzhdin 2020). Dans tous les cas, d’énormes quantités de données sont générées par tous ces capteurs lors d’une session sur un serveur VRChat. Ces données étant donc partagées en ligne, un tout cas avec les serveurs pour permettre aux autres utilisateur-trices de se voir interagir entre eux, que deviennent-elles au-delà de l’expérience live ? Qui peut y avoir accès ? Dans quel but ?

Dans le cas de VRchat, sur leur site web dans leur privacy policy, la société nous informe qu’effectivement ils se réservent le droit de collecter des informations personnelles afin d’améliorer leur expérience sur la plateforme et leurs offres promotionnelles pour attirer d’autres joueur-euses. Ils garantissent en outre de ne vendre aucune de ces données. Mais alors quelle est la nature de ces données ? Selon la même source, ils ne collectent que les cookies textuels que les utilisateurs laissent lorsqu’ils créent leur profil, et ne collectent en revanche pas les données biométriques produites par la technologie VR. Notons cependant que les développeurs pris à parti pour des comportements toxiques sur leur plateforme ont affirmé que la compagnie pouvait utiliser des métadonnées pour suivre des personnes soupçonnées de comportement toxique (Bonifacic, 2022). Cela pose la question donc de la manière avec laquelle ils accèdent à ces métadonnées alors qu’ils affirment ne rien collecter. Logiquement, n’y a quasiment pas de données accessibles publiquement depuis VRChat, la seule statistique publique régulièrement mise à jour étant le nombre de joueur-euses connectés sur la plateforme.

Cependant la situation est-elle différente du côté des fournisseurs de cet équipement VR ? La société Meta Quest fournissant les casques de VR les plus populaires sur le marché annonce dans sa privacy policy : « Les données brutes sont traitées uniquement sur le casque et ne sont pas envoyées à Meta ou à des tiers. Les données brutes sont supprimées après traitement et ne sont pas stockées dans le casque. Tous les capteurs de l’oreillette (y compris les caméras et les microphones) sont désactivés lorsque le casque passe en mode veille.« Si la société promet de ne pas collecter de « données brutes » nous savons qu’en revanche des « données abstraites » directement dérivées de ces données brutes lui sont envoyées. Concrètement, cela signifie que Meta Quest ne dispose pas d’images ou vidéos de nos mouvements et de notre expérience avec leur casque, mais stocke, par exemple, la direction de notre regard, nos expressions faciales… (Lang 2022).

Selon un papier des chercheurs en culture digitale, Carter et Egliston, ces données ont un potentiel indéniable pour les campagnes marketing d’entreprises prêtes à les acheter : « that companies […] can make about the quality, veracity, accuracy and predictive power of their analytics. » (Carter et Egliston 2021). Dans le même article, les auteurs s’inquiètent que le cadre légal autour de ces données produites par une technologie émergente ne soit pas encore suffisamment solide, mettant en danger la vie privée des consommateurs. Nous imaginons que VRChat entre pleinement dans le type d’expérience susceptible de produire des données convoitées par des compagnies désireuses d’en apprendre toujours plus sur les habitudes de ses cibles marketing (2021).

Il nous semble important d’apporter une nuance quant au fait que ces données seraient plus « vraies, qualitatives, précises et prédictives que des traces numériques traditionnelles » (2021). En effet, elles sont d’une nature différente puisque produites directement par les mouvements de notre corps. Mais il ne faut pas, lorsque nous considérons leurs significations sur les goûts et habitudes des utilisateurs, omettre le cadre particulier dans lequel ces gestes sont produits. Une interaction dans l’espace VRChat a ses propres codes qui se retrouvent différemment lorsque nous interagissons dans un espace social différent ou notre langage corporel est mis à contribution. Il nous semble ainsi important de garder ce biais en tête lorsqu’il s’agit d’analyser les traces numériques produites par VRChat et les expériences VR en règle générale.

Conclusion

VRChat est à l’heure actuelle le représentant le plus populaire de ce qu’est une expérience sociale en ligne à travers une expérience de réalité virtuelle. Tant que ce sera le cas, il est naturel que joueur-euses, chercheur-euses, ou encore investisseurs continuent de s’intéresser à la plateforme. À ce titre, il est important de préciser les enjeux épistémologiques d’un tel objet dans les singularités qu’il contient en comparaison d’autres espaces numériques beaucoup plus étudiés. Ces enjeux impliquent le lexique qui l’entoure avec la confusion de l’usage de termes comme « virtuel » ou « réalité », les biais induits par chaque type d’espace numérique de s’intéresser aux interactions visibles plutôt qu’à ce qui les structure ou encore, établir un standard pour le stockage et l’accès aux traces de la technologie de réalité virtuelle. C’est par cette démarche que VRChat ou ses concurrents pourront être envisagés comme de nouveaux terrains d’investigation propices à faire évoluer la connaissance de cet espace numérique encore au début de son histoire.

Bibliographie

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Tableau des figures:

Figure de titre: screenshot issues de la YouTubeuse PHIA issue des vidéos https://www.instagram.com/p/CCtWTAGDxb2/ et https://www.youtube.com/watch?v=lgCnY7J00RU

Fig.1: https://store.steampowered.com/app/438100/VRChat/

Fig.2: https://www.youtube.com/watch?v=tDWrfGMYD4A

Fig.3: https://www.youtube.com/watch?v=pDdTqGy2gCs

Cuenot